Réalisation : Robert Aldrich
Scénario : Lukas Heller
d'après le roman d'Henry Farell
Durée : 2 h 10
Interprétation : Bette Davis, Joan
Crawford, Victor Buono...
Genre : Cauchemar génial
Synopsis :
Au temps du cinéma muet, « Baby »
Jane est une grande star. Sa soeur Blanche Hudson, timide et réservée,
reste dans l'ombre. A l'arrivée du cinéma parlant, les rôles
s'inversent : Blanche devient une grande star, Jane est oubliée.
Bien des années après, elles vivent désormais en commun une double
névrose. Blanche, victime d'un mystérieux accident est invalide et
semble tout accepter d'une sœur transformée en infirmière sadique
qui multiplie les mauvais traitements.
Il y a des films qui sont cultes et
dont on oublie trop souvent de mettre en avant ou placer dans des
discussions quand on parle de cinéma, de nos films préférés, des classements des plus grands films à voir. C'est le cas de ce
chef-d'œuvre intemporel Qu'est il arrivé à Baby Jane ? Plus
reconnu aux Etats-Unis qu'en France, le film de Robert Aldrich est un
formidable huis clos psychologique horrifique à la fois cynique et
violent, à l'image du cinéma du cinéaste.
Robert Aldrich était un cinéaste qui
possédait le savoir faire Hollywoodien des années 50 et 60. Il essayait tant bien que mal à l'époque de mettre en œuvre ses nouvelles idées
et visions dès qu'il en avait l'occasion dans ses films. Comme Sam
Peckinpah ou même Sergio Léone, Robert Aldrich est un cinéaste
transitionnel entre deux courants et cultures cinématographiques
complètement différents faisant de lui un maillon transitionnel aussi indispensable que fascinant. Le cinéma de Robert Aldrich n'est pas encore référencé,
ni trop libre et évasif par rapport aux films de la
Nouvelle Vague des années 70. Son cinéma donne l'impression de regarder un film
assez classique avec un point de vue très moderne. Ses scripts
et sa mise en scène ont des approches bien plus appuyées sur les
parties sombres, violentes et cynique des intrigues et des personnages. Faussement
classique donc, le cinéaste met un coup de poing à l'estomac et frappe
souvent très fort par son culot et la façon dont il aborde des
thèmes qui mettent mal à l'aise. C'est à la fois subtil et frontal, très bien équilibré
et fascinant de maîtrise. Aldrich est ici au diapason de son talent et
mêle de manière virtuose le meilleur du cinéma d'Hitchcock
avec Fenêtre sur cour pour le huis clos et Psychose pour la
psychologie et l'horreur. Seulement il reprend également un autre
grand cinéaste, le grand Billy Wilder avec Boulevard du Crépuscule
qui est exactement dans le même thème. Aldrich avait déjà
signé quelques années auparavant l'adaptation
d'une pièce de théâtre Le grand couteau qui attaquait déjà le
système hollywoodien dans la peau d'un acteur interprété par Jack Palance.
Qu'est il arrivé à Baby Jane est donc
une peinture au vitriol du rêve Hollywoodien. La morale est
particulièrement violente et surtout d'une noirceur à l'amertume
savoureuse. Cette satyre grandiloquente et captivante traité comme un
thriller, un film noir est réalisé avec une maîtrise, un savoir faire époustouflant. Le film commence par une introduction de dix minutes qui
plante parfaitement le décors, l'intrigue dramatique et
psychologique de manière à la fois implacable, habile et ambiguë. Attention, le
générique est aussi important que le reste du film. Tout ce qui
suit ensuite est un (faux) huis clos terrifiant et étouffant sur une
bataille psychologique et même parfois physique entre deux monstres du
cinéma. Des monstres dans tous les sens du terme. Sur la forme, le
spectateur a droit au meilleur du cinéma de cette époque : un
montage accompagné d'une bande son qui prennent tous les deux aux
tripes du début à la fin, le tout sans temps morts. Sur un scénario en
béton possédant un crescendo exemplaire, l'écriture excelle dans
toutes les pistes narratives qu'elle emprunte. Tout est formidablement
écrit, à la fois solide comme le roc mais également sensible et d'une
grande intelligence. Absolument rien est laissé au hasard, tout se
recoupe avec élégance et habileté jusqu'au final, le tout de manière
absolument pas téléphonée. Le spectateur en ressort autant bouleversé que choqué, perturbé et dérangé par ce qu'il vient de
voir. Tout en parcimonie et en finesse, les différentes
psychologies, les parties dramatiques et émotionnelles sont tissées
les unes dans les autres d'une manière infernale et prenante. Le spectateur est clairement embrigadé dans cette tension
infernale permanente, séquestré du début à la fin par la pellicule de ce
chef-d'œuvre.
L'intelligence et la force du film est
d'avoir utilisé deux monstres sacrés du cinéma à l'époque pour
s'affronter en tête d'affiche. Comme dans le film, Davis et Crawford
ne pouvaient pas se voir en peinture. Combattantes pourtant autant l'une que
l'autre dans le milieu machiste du cinéma, les deux actrices étaient
à l'époque à l'arrêt toutes les deux et toujours ennemies, tout comme dans le
film. Ce qui rend le choix encore plus savoureux même des années après. Cette situation
ainsi que le talent des actrices bien au rendez-vous rendent Qu'est
il arrivé à Baby Jane épique et culte. Les actrices
permettent de faire transcender totalement toutes les tensions, les
ressorts et les émotions du scénario. Ce dernier serait presque
écrit rien que pour elles si les intrigues n'étaient pas si riches
au dessus de la toile de fond du cinéma. Sans un scénario si riche,
le film ne serait qu'une série B assez savoureuse comme le film
suivant de Robert Aldrich Chut chut chère Charlotte toujours avec
Bette Davis. Inutile de dire que le tournage fut une sacrée paire de
manches, les deux actrices se faisaient même des coups vaches entre elles et
n'hésitaient pas même à utiliser la violence physique lors des prises.
Le cinéaste en a tiré profit dans le bon sens du terme car ce n'est
pas un film sur une lessive de linge sale entre deux
actrices de l'époque. Ce serait bien mal connaître le réalisateur
des Douze Salopards de penser cela. Heureusement c'est bien plus
profond et pertinent. On retrouve des stars déchues qui sont
devenues effrayantes par la célébrité, notamment à travers cette
épave de Baby Jane aussi horrible que pathétique. De la poupée
blonde gâtée pourrie et exploitée par un père égoïste, elle se
transforme en monstre alcoolique odieux envers sa sœur. Si Aldrich
n'hésite pas à filmer cette dernière tel un fantôme, un monstre
dans des décors en référence au cinéma impressionniste et
gothique, il réussit avec une grande facilité à la rendre
vulnérable et pathétique dans ses délires régressifs et graves
les plus extrêmes dans de formidables séquences. Ces scènes nouent
l'estomac du spectateur et nous fait remonter pitié et peur à la
fois. A l'image de son maquillage appuyé, Bette Davis en fait des
tonnes dans le rôle mais ça fonctionne parfaitement. On reste
toujours scotchés par sa prestation et même cinquante ans après. Elle est
époustouflante et inoubliable, une des plus grandes et marquantes
des interprétations au cinéma que j'ai eu l'occasion de voir. En face d'elle, acec plus finesse et
tout aussi brillante, Joan Crawford interprète Blanche auquel le
public s'identifie bien plus (du moins je l'espère). On compatit facilement, elle est invalide, victime,
dépendante et enfermée auprès d'une femme flippante et manipulatrice que
l'on craint aussi. Même quand tout se démêle à la fin du film, on est à
la fois triste et effrayé par ces personnages odieux mais aussi
pathétiques que touchants. Tout est presque poussé à la limite de
la caricature, à la limite du trop pour être crédible mais tout
fonctionne car l'écriture et la mise en scène sont superbes. Tout
dessert magnifiquement les différentes morales et points de vue du
film : notamment la monstruosité de l'homme et du succès.
Dans une intrigue un peu plus
secondaire, on trouve encore un personnage aussi vache que dérangeant
portant le nom d'Edwin Flagg. Ce pianiste amateur profite du délire
régressif de Baby Jane pour se faire de l'argent sur elle. Il est
l'antihéros parfait et qui a même une relation assez malsaine avec sa
mère. Là aussi Aldrich développe son cynisme sur l'Être humain
avec maestria. En complément du scénario, les dialogues sont
brillants. Ces derniers sont signés par un futur grand cinéaste des
années 70 et qui portait le même prénom et presque le même nom
que le réalisateur du film. Je parle bien entendu du grand Robert
Altman. Le film d'Aldrich ne ressemble surtout pas à du théâtre
filmé. Un grand metteur en scène derrière joue sans cesse sur
l'éclairage, le hors champs, les angles les plus efficaces et
simples pour donner une dimension grandiose à la psychologie, à la
tension des deux personnages. Les ressorts, les pauses sont d'une
maîtrise jouissive et inéluctables qui donne une ampleur impressionnante à l'intrigue et aux différents messages du scénario. Aldrich
accorde également beaucoup de place à ses acteurs à l'écran. Ces
dernièr(e)s sont au diapason à l'image du film mais surtout
pas en roue libre. Ce n'est pas un film d'interprétation, la mise en
scène tenue et tendue suit tout de près au peigne fin. On dirait
parfois même un ballet psychologique et horrifique tant dans le visuel,
l'audio sont complémentaire à la narration. Le compositeur, inspiré lui aussi,
nous fait plonger dans un premier temps une tension de plus en plus
malsaine puis de plus en plus vers l'horreur psychologique absolue
avec des notes simples et sobres. Une bande originale digne d'un
Jerry Goldsmith ou Bernard Hermann de l'époque, très bien utilisée
par le cinéaste. Le spectacle au cordeau reste toujours très
moderne et d'une grande efficacité de nos jours par cette technique
fluide toujours bien pensée, sans cesse au service de l'histoire
comme dans les plus grands films du cinéma. Ce travail d'orfèvre
virtuose est une toile de fond solide, même si on retient plus au
premier plan à juste titre cette horrible et magistrale opposition entre ces deux
sœurs.
Qu'est il arrivé à Baby Jane fait partiedes plus grands films que j'ai eu l'occasion de voir et de revoir. Comme les meilleurs films, il se bonifie et dépasse plus que le simple genre du thriller horrifique. Il
est à cheval sur plusieurs genres et thèmes. Le ton
satyrique et les portraits psychologiques profonds sont universels et
parfaitement traités. A chaque diffusions de nouvelles
pistes, de nouvelles profondeurs sont trouvées. C'est le parfait compromis entre le
cinéma commercial (à l'époque la presse lui a reproché de trop
l'être au Festival de Cannes) et le cinéma indépendant très
intelligent. Parsemés de pointes d'humour noirs on apprécie une grande
couche de cynisme comme on en a toujours si peu au cinéma. La jalousie, la vengeance, la
manipulation ou encore le déni se coupent, se recoupent pour
exploser progressivement avant un final inoubliable et d'une cruauté absolue. On en ressort bousculé et touché, mal à l'aise et conquis de ce que l'on vient de voir. Qu'est il arrivé à Baby Jane est un film aussi terrifiant que déchirant. L'effet d'un
coup de poing monumental qui se ressent toujours des années après, atypique en plus avec
ce final bien loin de la
bienséance habituelle, du Happy end des films de l'époque et même
d'aujourd'hui. Tout cinéphile (ou pas d'ailleurs) se doit de voir ce grand classique qui en marquera plus d'un. Un des
grands films psychologiques que j'ai vu et qui est un classique à faire découvrir. Il est toujours bon de
redécouvrir ce film de temps en temps, de le conserver et de lui redorer le blason en
le partageant avec son entourage. Ce dernier souvent ressort bien conquis, à la première comme à une énième rediffusion de ce chef-d'oeuvre.
Note : 10 / 10
PS : Le Blu ray (de grande qualité) et
le dvd sont disponibles assez souvent dans les promos.
La dévédéthèque parfaite :
Boulevard du crépuscule de Billy Wilder,
Fenêtre sur cour et Psychose d'Alfred Hitchcock, The Player de
Robert Altman.