lundi 16 novembre 2015

La dernière tentation du Christ (The Last Temptation of Christ)



Réalisation : Martin Scorsese
Scénario : Paul Schrader
tiré du roman de Nikos Kazantzakis
Durée : 2 h 40
Interprétation : Willem Dafoe, Harvey Keitel, Barbara Hershey, Harry Dean Stanton, Verna Bloom, Paul Greco, David Bowie...
Genre : Vision personnelle

Synopsis :

Jésus doute et cherche à s'échapper à la mission qu'il découvre des angoisses en lui. Un Jésus dont la part humaine se rebiffe devant cette nature divine avant de l'accepter. 

A l'origine c'est Barbara Hershey sur le tournage de Boxcar Bertha en 1972 qui donna le livre de Kazantzakis à Martin Scorsese en lui disant : "Si un jour tu fais ce film, je jouerai Marie-Madeleine". C'est dans un concours de circonstances que sa parole fut tenue, soit plus de quinze années plus tard. Ce film était le premier projet personnel du cinéaste qui a mit des années à se monter. Avec un budget très modeste de 5 millions de dollars, le film a souffert d'une sortie controversée par le monde Catholique. Des extrémistes Catholiques ont été plus loin que les simples manifestations en commettant des attentats dont un au cinéma Saint Michel à Paris.  

"Le film est une vision personnelle s'appuyant sur le roman de Nikos Kazantzakis" prévient le cinéaste et même l'affiche du film à sa sortie. Il a fallut, et il faut encore hélas, toujours justifier ce que l'on fait, surtout quand il est question de la religion. Menace de mort à l'intention de tous les membres de l'équipe technique, des manifestations, un flop commercial et de la polémique plus sur le sujet que sur le film, le film a eu droit en plus à une critique presse très dure à sa sortie. D'ailleurs toujours aujourd'hui c'est un film oublié et négligé à tort dans la filmographie de Martin Scorsese. Alors que pourtant ce projet a été le plus dur à produire pour le cinéaste, tout comme pour Gangs Of New York. Peut-être son film le plus intéressant de sa filmographie, le plus essentiel, à l'image du travail de Paul Schrader au sommet de son style. 

Quand j'ai vu le film la première fois, j'avais trouvé un Scorsese assez hermétique, pas facile d'accès mais très intéressant et bien réalisé. En le revoyant, je l'ai beaucoup plus apprécié même si c'est facile d'avouer que c'est le film du cinéaste le plus hermétique. Seulement on ne doute pas de la sincérité du cinéaste et on ressort de cette expérience avec le plus de pistes de réflexions que d'habitude. Scorsese devait à l'origine être prêtre mais il s'est réfugié dans le cinéma. Il filme avec une très grande force et sincérité des scènes de l'Evangile et calque directement des scènes de doute, de tourments qui ne laisse pas indemne et qui nous touche, encore plus clinique, franche et glaciale que ses autres films. C'est très audacieux et crédible. Comme souvent chez Schrader et Scorsese, la sagesse et la folie sont souvent ensemble de la partie, ici elles sont extrapolées de manière si flagrante que l'on a une vision d'un homme perdu par sa mission et son identité. Le personnage de Jésus est montré comme un personnage scorsesien qui pose toute les questions sur le bien, le mal, le pour et le contre à plat. 

En 1982, Paul Schrader a signé deux versions du scénario. Martin Scorsese et Richard Price ont en signés six avant le tournage. S'ils ne sont pas crédités au générique, ce sont bien eux qui sont aussi responsable du résultat. Schrader a tout assemblé et à la base ne voulait pas aller si loin dans la démarche. Justement la fin du film change la donne avec la réincarnation de Jésus dans une vie d'un homme normal. C'est un formidable et palpitant moment de cinéma ou Scorsese réécrit respectueusement l'histoire et n'oublie pas de montrer que Jésus était un homme avant tout avec ses faiblesses et ses qualités. Le film s'appuie sur l'Histoire connue de Jésus Christ et ne possède pas vraiment d'intrigue. Il est d'ailleurs complètement dénué de suspense, mais truffé de philosophie, de psychologie et de visions tout à fait pertinente et parfois passionnante. 

La critique avait reproché au cinéaste de ne faire que des lourdeurs stylistiques et visuelles sur la vie du Christ. Je ne suis absolument pas d'accord. Scorsese respecte son personnage et même la religion, il offre juste un point de vue que les Chrétiens ne veulent pas imaginer, ni écouter. Je trouve la démarche très réussie et parfois même hallucinante. Tous les tourments que peut avoir un être humain sont traités par le scénario. Si le film manque de provocation c'est parce qu'il se contente de ne presque que nous faire poser des questions sur l'utilité de la religion, du culte. Il ne propose finalement tout ce qu'il faut sur un sujet pareil. Il demande aux public de réfléchir sur un sujet pour pas mal interdit et forcément ça ne plaît pas à tous le monde. 

Pour ce qui est de l'aspect formel, hormis les permanentes improbables de certains acteurs (en tête Harvey Keitel), c'est une réussite. La mise en scène est belle, avec de magnifiques idées, loin d'être tape à l'oeil et à la mode. N'est ce pas Mel Gibson ? On retrouve le savoir faire des films italiens et les grandes productions hollywoodiennes des péplums des années 40. La musique de Peter Gabriel, plus sobre que d'habitude, fait gagner une atmosphère très athée au film, nécessaire au point de vue. Willem Dafoe est dans son plus grand rôle, les acteurs autour toujours formidables de justesse. On remarquera une très belle composition de la photo et surtout le Scorsese où il y a le plus de rouge, que ce soit dans l'éclairage ou la composition artistique. Le montage est lent, entre le contemplatif et la vitesse nécessaire pour filmer les scènes qui demandent le plus d'énergie. Quand on pense que c'est un si petit budget, c'est une démonstration incroyable. 

Pour ma part La dernière tentation du Christ est le film de Scorsese que je trouve le plus important tout simplement parce qu'un grand cinéaste signe ce que personne ne veut faire et fait. C'est un film qu'on aime ou pas, comme souvent chez le duo Scorsese/ Schrader. Le film est loin d'être une superproduction et ne possède pas la forme d'un grand Scorsese, ni le détail et la vitalité de la plupart de ses films. Cependant il est incroyable par toutes ces pistes qu'il aborde et nous pose à réfléchir pendant deux heures quarante sur un Homme interpellé par la divinité. Il est conseillé d'avoir pas mal de culture chrétienne pour apprécier pleinement du film. J'avoue ne pas tout avoir saisis, aussi parce que le film est très riche. Je me suis dit assez souvent que celui qui n'a pas de connaissance de la Bible et de l'Histoire de Jésus serait tour à tour désorienté et trouverait une provocation vraiment flagrante de l'image de Jésus. Un illuminé porté par la folie en quelque sorte, ce qui est aussi dans la démarche du scénario. 

Je conseille cette aventure cinématographique honnête et au fond vraiment passionnant. Dommage que Scorsese soit plus passionnant par les questions abordées que dans la façon de les amener en restant trop sage dans sa démarche narrative. Cependant, il est presque impossible de penser que La dernière tentation du Christ pouvait prendre une autre tournure. A la fin de la projection vous n'avez pas vu un film comme les autres : vous êtes chamboulés de questions. Tout fonctionne même si j'ai l'impression d'avoir plus vu un film passionné que passionnant demeure, il reste peut-être un des films des plus intéressants que j'ai eu l'occasion de voir. 

Note : 7 / 10

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