jeudi 17 mars 2016

Midnight Special






Réalisation et scénario : Jeff Nichols
Durée : 1 h 50
Interprétation : Michael Shannon, Jaeden Lieberher, Joel Edgerton, Adam Driver, Kirsten Dunst, Sam Shepard...
Genre : Quête surnaturelle

Synopsis

Fuyant des fanatiques religieux et les forces de police, Roy et son fils Alton, se retrouvent chassés par la CIA et le FBI. Il se trouve qu'Alton a d'étranges pouvoirs surnaturels et doit être à une date sur un lieu précis pour pouvoir rentrer chez lui. 

J'attendais ce film depuis si longtemps que je craignais d'être déçu. Heureusement il n'en est point, Jeff Nichols s'empare des codes de la science-fiction pour lui donner de belles lettres de noblesses tout en continuant à creuser ses thèmes de prédilections. Un film aussi déroutant que passionnant. Pour ma part j'ai adoré. 

Pour résumer un peu mon ressenti sur Midnight Special, je dirais que c'est un mélange de Rencontre du troisième type de Steven Spielberg avec l'ambiguïté du deuxième film du cinéaste, Take Shelter. Non seulement on retrouve un Michael Shannon qui crève l'écran en père angoissé mais aussi toutes les pistes de violence, de psychologie et de non dit dans le thème de la religion. Cette fois Jeff Nichols se penche essentiellement sur la foi des hommes et leurs principales motivations ainsi que l'importance de la religion dans notre monde. Multiple point de vue autour d'un personnage extraordinaire dont personne n'est épargné. A l'image du film, tous les personnages sont aussi nuancés qu’énigmatiques. 

Une nouvelle fois avec un sens de la mise en scène absolument démentiel, Jeff Nichols laisse le spectateur réfléchir par lui-même. C'est la grande force de ce cinéaste cela dit. Le scénario contourne les ficelles narratives les plus classiques en permanence pour prendre des pistes de réflexions, mettant en avant du non dit passionnant et jamais ennuyeux. Le fantastique finalement n'est qu'un prétexte à donner une dimension beaucoup plus onirique à l'ensemble du film, d'ailleurs les effets spéciaux entre bricolage et sobriété rendent l'ensemble plus pertinent. On a droit donc à un père qui a la foi, ou je dirais même plutôt foi en son fils. La sienne est différente de celle des religieux qui ont fait de son fils un Dieu. On voit une belle mise en abyme avec le point de vue politique avec l'intrigue plus policière avec la traque du FBI. Toujours avec une écriture sobre et intelligente, un beau rythme et de dialogues solides, Jeff Nichols retrouve ses thèmes et pistes réflectives qu'il avait mises de côté avec son précédent voyage Mud

Le jeune cinéaste impose définitivement son style ici. On retrouve cette forme classique du cinéma d'Arthur Penn que l'on percevait dans son Shotgun Stories et le film philosophique et psychologique de Terrence Malick. Midnight Special est typiquement le genre de film qui est différent de tout ce que l'on voit aujourd'hui. On serait plutôt proche d'un film d'auteur des années soixante dix. C'est un ovni déroutant mais avec une forme assez classique pour en faire un thriller contemplatif. Un genre d'anti thriller qui est dans la démarche de faire réfléchir en permanence et ne mâche à aucun moment le boulot du spectateur. Ce qui est assez rare dans les productions actuelles, plus fréquemment dans la démonstration permanente. Le film ne tombe jamais dans le spectaculaire non plus cela même avec des effets numériques à la fin, plutôt épurés et utiles au côté onirique et religieux. On se retrouve formellement entre le cinéma de John Carpenter, Brian De Palma et surtout de Steven Spielberg avec le fond de David Lynch et de Terrence Malick. On retrouve une maîtrise absolue du rythme et également dans les différents climax du scénario. Le final est à couper le souffle dans tous les sens du terme et les poursuites de voitures qui remuent les tripes autant que dans Death Proof. Comme dans Mud les quelques scènes d'actions confirment que le cinéaste est aussi à l'aise dans la lenteur que l'action, c'est une nouvelle fois brillant. Les codes de la science fiction sont utilisés comme chez Stephen King (pluie de météorites, gamin aux pouvoirs surnaturels et développement, engendrement de la violence dans la folie des hommes) avec une quête religieuse aussi fanatique que mystérieuse. Jeff Nichols dépeint une nouvelle fois une Amérique du Sud en perte de repères qui s'accroche à des croyances pour survivre à la crise. Des hommes bien (ou pas) sont capables de tuer pour défendre leurs causes. Comme nous a habitué le cinéaste n'importe qui peut-être un héros ou un salaud, tout est une question de point de vue et ne comptez pas sur lui pour nous donner des réponses.

Midnight Special possède une nouvelle fois une superbe photographie (bien qu'un peu plus classique par moment) et une musique avec un thème qui fait plaisir et donne même pas mal de corps à l'ambiance du film. On est dans le pur produit de Jeff Nichols de A à Z où une nouvelle fois les acteurs sont superbes. A commencer comme d'habitude par un super casting. Michael Shannon quant à lui crève l'écran comme toujours et donne une toute autre dimension au personnage et au film. Je ne conseille cependant pas ce film si vous n'êtes pas adepte du style du réalisateur. Son précédent film est le plus classique mais si vous n'avez pas accroché à Take Shelter, il y a de grandes chances que ce Midnight Special ne vous emballe pas plus. Pour ma part, je vais vite me replonger dans ce quatrième coup de maître du cinéaste le plus intéressant de ces dernières années. Il y a bien des choses à découvrir de visionnage en visionnage, comme dans les grands films, ce que Midnight Special est à mes yeux. 

Note : 10 / 10


mardi 1 mars 2016

Kundun



Réalisation : Martin Scorsese
Scénario : Melissa Mathison 
Durée : 2 h 10
Interprétation : Tenzin Thuthob Tsarong, Gyurme Thetong, Tulku Jamyang Kunga Tenzin...
Genre : Fresque contemplative

Synopsis

La vie du Dalaï Lama de son plus jeune âge à l'invasion du Tibet par l'Armée de Mao à son exil en 1959. 

Beaucoup considéreront que Kundun est un film de Martin Scorsese mineur. Pour moi même ce n'est également pas mon préféré, je le trouve un peu long et avec pas mal des pistes scénaristiques classiques. Il souffre aussi de la comparaison de la belle fresque de Bernardo Bertolucci Le dernier Empereur

On se laisse cependant prendre avec un certain plaisir par la dimension beaucoup plus contemplative du cinéaste que l'on avait vu dans La dernière tentation du Christ ou des années plus tard dans le documentaire fabuleux sur George Harrison. On se laisse prendre également par la psychologie de ce jeune homme auquel on s'identifie sans beaucoup de mal.  La belle photographie nous plonge dans les somptueux paysages du Tibet et de la Chine de l'époque. Les belles reconstitutions sont filmées soigneusement avec une mise en scène un peu plus figée que dans les fresques précédentes du cinéaste. 

Le réalisateur part à l'opposée en terme de montage de son précédent film Casino. Il est beaucoup plus sobre et sérieux dans son travail, souvent même trop respectueux à son sujet et les idéologies. Son travail colle au sujet et à la psychologie et la dramaturgie du Dalaï Lama mais cependant Scorsese se retrouve un peu comme à l'époque face au Christ, trop respectueux avec la religion. C'est aussi tout à son honneur mais c'est un peu handicapant pour le film. Du coup le film reste un peu trop neutre quand on suit ce personnage qui peine à se construire des repères et à se confronter au monde adulte du début à la fin. Kundun est un peu une seconde version du dernier Empereur. Le scénario est moins développé mais la mise en scène a une forme plus contemplative. Si le film a le mérite d'être par moment passionnant et riche dans ses thèmes et l'Histoire, il reste cependant beaucoup moins flamboyant et dense que les grands films ou personnages Scorsesiens. Il y a pourtant beaucoup des thèmes du cinéaste, notamment cette récurrence du choix entre le bien et le mal, mais tous ont une portée plus philosophique. De manière générale le cinéaste est bien plus à l'aise quand il a un support concret, matériel et avec une écriture plus dramatique. Ici il travaille avec une certaine fascination sur un projet qui lui tient à coeur et qui possède beaucoup de pistes de réflexions. Cependant il y a beaucoup moins de pistes dramatiques fortes ce qui le freine aussi de tout élan. Cela reste quand même une drôle de Disney, bien plus intelligente et moins bien pensante que la plupart des productions sur un tel sujet. 

Kundun peut fasciner autant qu'il peut ennuyer, tel un film de Francis Ford Coppola. C'est aussi dépaysant qu’intéressant pour ma part mais ce n'est pas le film du cinéaste que je revois souvent avec le plus de plaisir. Pour le cinéaste, cette escale lui a fait faire une pause pour changer de fusil d'épaule. Il passe de son grand Casino à un autre film majeur de sa filmographie : A tombeau Ouvert

Note : 6 / 10