jeudi 1 mars 2018

Three Billboards, Les panneaux de la vengeance (Three Billboards Outside Ebbing, Missouri)



Plus d'un mois après sa découverte dans les salles obscures, j'ai envie de revenir un peu sur ce grand film tant il me laisse une trace indélébile dans les grands moments passés au cinéma ces derniers mois. Alors qu'il est très justement nominé aux Oscars tant les performances des acteurs sont éclatantes, le film de Martin McDonagh ne se résume heureusement pas qu'à cela, c'est avant tout une réussite totale. 

Il y a dix ans, le réalisateur, dramaturge anglais marquait le coup avec Bons Baisers de Bruges, un premier film déjà très séduisant par son casting, ses dialogues et son exercice de style maîtrisé que l'on glisse entre le style des frères Coen et de Quentin Tarantino. Son deuxième film Sept psychopathes est bien plus maladroit. On y retrouve un casting monumental et plus de personnages pour une efficacité dramatique moins percutante car l'ensemble est beaucoup plus foutraque. Si globalement cela reste plaisant, au final il reste inoffensif et se niche quelque part entre Guy Ritchie et Shane Black. Les dialogues sont pourtant bons, les mélanges de tons sont les plus grandes ambitions du film ou il reste l'impression flagrante  que le cinéaste s'est un peu égaré au milieu de son délire sur ce qu'il voulait faire à la base. 

C'est alors qu'arrive cette année 2018. Pour son troisième film Martin McDonagh pousse toutes ses précédentes qualités à son paroxysme et revisite, transcende par la même occasion les codes du film de vengeance classique. Si on retrouve toujours une ADN très proche des frères Coen, c'est surtout par l'influence de la musique de Carter Burwell et bien entendu l'actrice Frances McDormand en tête d'affiche. On peut clairement penser aussi à du Clint Eastwood avec l'écriture d'un personnage principal féminin qui a son tempérament bien trempé, son cran réjouissant et libérateur mais également une force dramatique à la fois dense et touchante. Mais Three Billboards est bien plus que cela, on est avant tout dans un film personnel, intègre, qui se suffit largement à lui-même et qui ne ressemble à aucun autre. Toutes les caractéristiques d'un grand film. 

Le titre original à son importance. Une adresse GPS "google maps" comme pour prendre le pouls de l'Amérique dans une bourgade anodine. A travers trois personnages fictifs, le cinéaste nous parle d'une Amérique endeuillée (McDormand), malade (Harrelson) et raciste (Rockwell). Tous ont une perte de repères, de buts et sont meurtris mais sont à la recherche de justice. Le représentant de la Loi, interprété comme toujours à la perfection par Woody Harrelson, nuance et axe formidablement la narration d'un scénario qui possède d'incroyables tours de forces. MacDonagh a l'intelligence de jamais pleinement entrer dans le social, ni le politique mais de les incruster dans la toile de fond : les conditions, les portraits des personnages . Avant tout on peut noter une très bonne idée de départ, simple, judicieuse et surtout crédible. S'ajoute ensuite le parfait cocktail des genres, des tons explosifs entre le rire, l'émotion, la violence, la délicatesse, l'approche psychologique et l'action. Le réalisateur pour notre plus grand plaisir jongle entre l'audace et la virtuosité. Mais la plus grande force du film, et ce pourquoi à la sortie l'ensemble il nous donne l'impression d'avoir vécu une expérience équivalente d'une grande série de télévision, reste l'écriture et la place qu'occupe l'ensemble des personnages dans le scénario. Martin McDonagh donne autant d'importance aux seconds rôles qu'aux premiers :  qualité des très grands scripts. Quand ce n'est pas pour donner une belle intrigue ou de l'émotion, ces derniers sont là pour décanter habilement les sujets plus graves avec des moments de comédie pour le moins brillants. Quant à la fin, c'est peut-être l'une des plus intelligentes et réussies que j'ai pu voir ces dernières années. Le duo McDormand/Rockwell est suffisamment développé et ambigu pour pouvoir s'en faire sa propre idée. Le cinéaste sait s'arrêter quand il faut, c'est aussi une qualité de plus dans le cinéma d'aujourd'hui, souvent trop long et démonstratif.

Il serait dommage de ne retenir que les performances des acteurs (tous reconnus depuis longtemps pour leur talent) dans ce Three Billboards car on a droit avant tout un très grand film, avec du fond et des superbes personnages, semblable aux réussites d'Arthur Penn, Sam Peckinpah ou même John Ford. En tout cas pour ma part c'est un film qui va rester dans les annales et le premier à saluer est Martin McDonagh. Il signe une mise en scène brillante, collant à la perfection à son scénario, qui lui est exemplaire en tout point et à montrer dans toutes les écoles de cinéma. Avec Comancheria de David Mackenzie, ce genre de cinéma (scénario, dialogues, casting et mise en scène au diapason) est si génial et rare que ça mérite d'être remarqué et chaudement recommandé. Scotchant. 

Réalisation et scénario : Martin MacDonagh
Durée : 1 h 50 
Interprétation : Frances McDomand, Sam Rockwell, Woody Harrelson... 


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