mercredi 30 mai 2018

L'Homme qui tua Don Quichotte (The Man who killed Don Quixote)





En 2003 sortait Lost in la Mancha de Keith Fulton et Louis Pepe, un making of sur l'adaptation inachevée (et maudite) de Don Quichotte par le réalisateur Terry Gilliam débutée dix années auparavant. Le "film" parle du projet du réalisateur mieux que personne et en a fait un film avorté culte. Voilà qu'aujourd'hui le cinéaste réussit à faire enfin son adaptation, et il aura été maudit jusqu'au bout. Impossible pour le cinéphile et pour le réalisateur de faire l'impasse sur ces péripéties pour le ressenti et l'impression du rendu final. Terry Gilliam l'a bien compris, le signale dès le premier carton du générique, et en fait même l'orientation de son projet avec une mise en abyme : parfois pour le meilleur... et souvent le pire. 

La démarche initiale de Terry Gilliam est louable. Il a la volonté de parler du monde actuel à travers ce classique de la littérature espagnole et livrer par la même occasion le testament de cinéaste maudit. Par de toutes petites bribes, ça fonctionne. Par quelques trop rares moments le film laisse entrevoir le potentiel du grand film que cela aurait pu être il y a des années. Car oui le problème de ce film c'est d'avoir avant tout 25 ans de retard. Et qu'entre temps Terry Gilliam n'a plus rien à raconter, se noie dans une auto caricature de son style,  ses thèmes, se retrouve dans l’auto citation épuisante et, surtout, n'a plus de génie. Si le tournage de son Don Quichotte initial avait abouti comme prévu, ce dernier avait bien plus de chances d'être brillant car il se situait entre deux des meilleurs films du cinéaste : The Fisher King et  L'armée des douze singes

Comme dans Zero Theorem ( Brazil en navet) tout y est très lourd et maladroit. Le cinéaste refait ce qu'il sait faire et innove en rien, et tout gravite autour de son univers balisé, sa personnalité et son ego. Ce qui est désolant car tout y est finalement très prétentieux, le cinéaste se prenant ouvertement pour Don Quichotte. L'ex Monty Python ne fait pas non plus dans la dentelle en offrant un règlement de compte vain et ridicule sur le cinéma et la société de nos jours. Il enfonce des portes ouvertes et cela malgré son casting séduisant. Si Gilliam s'était plus éclipsé, le film aurait certainement été bien plus intéressant. Un message plus universel aurait été le bienvenu et aurait donné une personnalité plus affirmée à l'ensemble. Ici tout se résume à un réquisitoire foutraque, fébrile et sans intérêt. On est dans le mixe des aventures du Baron Munchausen et de Fisher King en nanar insupportable et excentrique qui se contente à accumuler les clichés et les tares du cinéaste. 

Mais L'Homme qui a tué Don Quichotte reste tout de même Terry Gilliam. Il se fourvoie en mettant même des géants numériques qu'il dénonce au tout début du film. Si on a perdu Terry Gilliam depuis presque 20 ans, ce Don Quichotte reste tout de même bien plus intéressant que son précédent Zero Theorem. En même temps on parle de nivellement par le bas. Meilleur car tout simplement dans ce bordel de deux longues et pénibles heures d'élucubrations, on suit un artiste imprévisible qui va au bout des idées et ici de ses projets. C'est une chose que l'on voit finalement assez rarement et il faut avouer que c'était déjà le charme de son autre projet maudit L'imaginarium du Docteur Parnassius. C'est un petit vent de fraîcheur dans notre époque actuelle ou tout se calibre de plus en plus, y compris la création et l'originalité, qui ont toujours été les convictions de Gilliam, mais à la fois bien trop peu pour mériter de l'attention car tout est très mal amené. Selon moi Don Quichotte ne devait rester que le projet maudit du réalisateur de Las Vegas Parano car depuis bien d'autres cinéastes pouvaient s'approprier le livre de manière bien moins pompeuse et brillante. 

Réalisateur : Terry Gilliam
Scénario : Tony Grisoni et Terry Gilliam. 
D'après le roman de Miguel de Cervantes. 
Durée : 2 h 10
Avec : Adam Driver, Jonathan Pryce, Olga Kurylenko, Stellan Skarsgard, Sergi Lopez...

dimanche 6 mai 2018

L'île aux chiens (Isle Of Dogs)




J'avoue qu'à la sortie de The Grand Budapest Hotel, Wes Anderson m'avait laissé plutôt indifférent. Le cinéaste signait une belle synthèse de son style, de son cinéma en live avec un casting (une nouvelle fois) hallucinant mais finalement je trouvais qu'il manquait un peu de fraîcheur et d'originalité. Une sorte patchwork bien fait de son cinéma.


L'île aux chiens confirme ce que j'aime le plus dans le cinéma de Wes Anderson, soit sa minutie du détail et de sa mise en scène qui colle parfaitement au concept du film d'animation. Je trouve que le style du cinéaste, si symétrique, si calculé et ponctué de toutes sortes de ruptures, est bien plus approprié lorsqu'il adapte un scénario à la concision et la rigueur que l'on exige avec le cinéma d'animation. Avec Fantastic Mr Fox le cinéaste avait su puiser l'esprit de Roald Dahl, le côté conte enfantin et le mêler à son style pop et fun bien à lui. Cette fois avec L'île aux chiens le cinéaste change de registre et ne se contente pas de répéter ce qu'il sait faire. Il nous offre sur un plateau d'argent son film au fond le plus politique et formellement le plus risqué jusqu'à aujourd'hui. Un mélange d'animation, des langues, des styles, des animaux et des humains qui s'avère être un brillant exercice de style, une véritable réussite car on a droit à un cinéaste au sommet de sa maîtrise, émaillant l'ensemble d'un somptueux hommage au cinéma japonais (notamment de Kurosawa).

Dans cette dystopie, on ne peut que savourer et ressentir à la fois sans cesse des échos sur ce qu'il se passe dans le monde aujourd'hui. Le film est d'ailleurs extrêmement riche et mérite plusieurs visionnages pour tous les saisir, qualité d'un grand film. Plus destiné aux adultes, le message reste cependant très universel et singulier. L'île aux chiens fera date dans l'histoire du cinéma pour bien des raisons. La première parce que c'est tout simplement un excellent film. Ensuite parce qu'il parle très bien de notre époque actuelle. Il sera sans doute un film phare et représentatif des années 2015 / 2020. Puis c'est le premier film qui mélange ces multiples concepts d'animations. 

Une nouvelle fois le casting de voix est à tomber par terre, apportant un charme et un charisme à l'ensemble aussi délicieux qu'on fondant au chocolat sortant du four. La bande son musicale d'Alexandre Desplat est également une pure réussite, elle est peut-être au même niveau que le talent de Wes Anderson, donnant un corps incroyable à l'ensemble du film. On peut reprocher un petit manque d'émotion et même d'approfondissement sur certains personnages et pistes narratives. Cependant il est toujours plaisant de voir le cinéaste, sans prétention, s'aventurer dans le fond de son univers et de son cinéma si particulier et souvent assez cloisonné. Wes Anderson tend enfin un miroir sur le monde dans cette aventure palpitante, originale et inédite et il évite pas mal de facilités pour s'aventurer dans la noirceur et le brûlot. Parfois on serait presque chez Wes Andersen....  et je trouve ça vraiment génial. 

Réalisation : Wes Anderson
Scénario : Roman Coppola, Jason Schwartzman, Kunichi Nomura et Wes Anderson. 
Durée : 1 h 40 
Avec les voix de : Bryan Cranston, Edward Norton, Frances McDormand, Liev Schreiber, Jeff Goldblum, Bill Murray...