vendredi 5 septembre 2014

Freaks - La Monstrueuse Parade



Réalisation : Tod Browning
Scénario : Willis Goldbeck, Leon Gordon, Edgar A. Woolf et Al Boasberg
Adapté de Spurs nouvelle de Tod Robbins
Durée : 59 minutes
Distribution : Wallace Ford, Olga Boclanova, Leila Hyams...

Genre : Avant gardiste.

Synopsis :

Des êtres difformes, se produisant dans un cirque, poursuivent de leur vengeance une belle acrobate et de son complice qui ont abusés l'un des leurs. Quand les monstres ne sont pas ceux que l'on croit. Freaks est un classique du cinéma.

Arrêt sur Tod Browning :

Petite anecdote pour commencer : Tod est le prénom choisit par le cinéaste car il signifie « mort » en allemand. Son vrai prénom est Charles Albert Browning.

Avant d'entrer comme assistant réalisateur de D.W Griffith, Tod Browning était bonimenteur, rabatteur dans un cirque. Une fois dans le milieu du cinéma il est très prolifique et très bien vu des studios pour finir dans les temps, sans dépasser le budget ses films. Browning travaille beaucoup en triangle aux postes d'assistant réalisateur, scénariste et réalisateur. Le cinéaste trouve rapidement une notoriété avec la complicité de Lon Chaney, un grand acteur du cinéma muet qu'il a au passage révélé. Suite au décès de son acteur fétiche, Browning prendra Bela Lugosi pour interpréter Dracula en 1931.

Si le cinéaste haïra sa version définitive, l'adaptation du livre de Stoker fut un immense succès critique et public et lui donna une très grande popularité. Cela lui offrit donc la possibilité de tourner Freaks, un projet qui lui tenait à coeur. C'est en quelque sorte le premier film hollywoodien indépendant. A la suite d'un tournage maudit, Freaks fut un scandale général et coulera directement la réputation ainsi que la carrière du cinéaste. Boudé par le public et la presse, personne ne veut entendre parler de Browning. Ses films suivants sont des échecs commerciaux et les producteurs finissent par ne plus l'engager avec son étiquette de « Freaks ». A la fin de sa vie le cinéaste tentera d'écrire une adaptation du fabuleux livre They Shoot horses don't they ? D'Horace McCoy. Sidney Pollack lui dédiera sa majestueuse adaptation homonyme de 1969. Browning termine ses jours sans vouloir entendre parler de cinéma en 1962.

Comme pas mal d'artiste, Tod Browning était un homme très torturé. Jeune il fut témoin dans un hôtel de la banlieue de Chicago du suicide d'une mère de famille dans sa baignoire, après avoir tué ses deux enfants. Marqué par cette extrême violence, une noirceur se dégagera dans son style. Browning fut responsable également de la mort de son ami Booth, un jeune acteur prometteur, dans un terrible accident de voiture. Accident qui lui valut une année d'hospitalisation ainsi que la perte totale de ses dents. Souvent alcoolique, Browning avait des techniques bien précises de productivité, comme notamment d'écrire le scénario de 18 h et 6 h du matin. Cela va sans dire que ce point là ne fit pas toujours bon ménage avec les studios. Tod Browning était également très jaloux de la concurrence. Il enviait particulièrement d'Erich Von Stroheim qui avait plus de succès critique, de talent et d'habileté avec des thèmes très similaires aux siens : la noirceur humaine, le mal conditionné par la cupidité.

Très inspiré par l'œuvre et le style de Charles Dickens, Browning a beaucoup de thèmes récurrents : l'abandon, la persécution, l'injustice, le crime, la culpabilité, le travestissement, l'illusionnisme, le châtiment, le déguisement, l'identité secrète et les fantasmes enfantins rejoués en cauchemars d'adultes. Freaks est donc un film fortement marqué par le style de Browning où beaucoup de ses thèmes se retrouvent dedans. Hélas pour lui ce fut le premier glas d'un réalisateur qui se croyait trop indépendant à Hollywood et bien trop avant gardiste.

Arrêt sur le film :

En 1932 M le Maudit de Fritz Lang et Freaks de Tod Browning deviendront des chef-d'œuvres cinématographiques.

Beaucoup de choses sont remarquables dans le film de Browning outre les conditions du tournage et sa courte histoire en salles. On peut toujours remarquer que c'est un des rares et derniers films où l'on peut apercevoir un personnage féminin en tête d'affiche. Effectivement le succès public du film culte King Kong de Shoedsack et Cooper donna l'autorisation à Browning de mettre une femme dans les personnages principaux. Cette dernière est plus indépendante de l'homme, à forte personnalité et au bien plus au centre de l'histoire qu'à l'acoutumé. A noter que public féminin commençait un peu à intéresser Hollywood. Seulement après Freaks et l'image choc de la femme que le film dénonce (alors que c'est de même facture pour l'homme cela dit), elle sera rétrogradée en personnage secondaire et/ou femme objet pendant des années. C'est toujours d'actualité d'ailleurs mais c'est un autre débat.

Le début du cinéma parlant naît en pleine crise économique aux États-Unis. La grande mode de l'époque était alors le film d'horreur et le film fantastique. Frankenstein ou Docteur Jekyll and Mr Hyde sont alors souvent portés à l'ecran ou pas mal de fois détournés. Doctor X de Michael Curtiz, L'île du docteur Moreau d'Earle C Kenton, La chasse du compte Zaroff de Shoedsack et Pichel ou encore The Mummy de Karl Freund furent des grands succès public, et les studios voulaient assurer l'après Dracula. Browning eu comme consigne avec les scénaristes de faire plus peur que le précédent film avec la nouvelle choc de Tod Robbins. Différents titres étaient alors proposés avant que ce ne soit Freaks : Forbidden love, The Monster Show ou Nature's genre.

Browning a donc eu de la liberté de la part des studios ainsi que le génie, ou le culot tout dépendra du point de vue, d'avoir imposé à la MGM des vrais phénomènes de foire, pour n'avoir recourt a aucuns trucages, ni grimages. Le recrutement s'est donc fait dans tous les cirques des alentours durant quelques mois. Seulement aucunes stars ne voulaient jouer avec ces « freaks ». Une pétition à même été crée pour ne pas partager les cantines et les parties publics avec ces forains, dont seules les sœurs siamoises, qui avaient un show renommé à New-York et un physique moins choquant, étaient autorisées à fréquenter les acteurs de plus près. Il en fût de même pour le tournage qui se déroulera très vite dans des studios en aparté, loin des regards des gens. Après du retard et un budget vite dépassé Browning a eu beaucoup de pression de la production en plus du scandale que fait son tournage dans la profession. Le film fut rapidement à la limite d'être stoppé. Browning décide donc de tourner le tournage dans un secret total. Toutes les informations étaient donc filtrées, absolument rien ne parvenaient aux oreilles des producteurs de ce qu'il se filmait.

Une fois le tournage terminé, le monteur refusait de faire son travail car les personnages ne le touchait pas du tout. Browning monta donc le film lui-même. Une fois finit, les avants premières furent désastreuses au point que les spectateurs sortaient en vitesse, outré en plein milieu de la projection. Le film a été donc été tronquées de plusieurs scènes jugées trop dures, soit au final environ trente minutes. Avec un tiers du film en moins ainsi que le rajout d'un prologue moralisateur fait par les personnages du film, Freaks fut quand même un échec absolu et vite enlevé des salles. La critique la plus tendre de l'époque disait que le film « montrait tout ce que le spectateur ne voulait pas voir au cinéma ». Le public lui s'affirmait surtout dégouté. Le succès à l'étranger ne fut pas meilleur: il a été même interdit trente ans en Grande-Bretagne.

Dans les années soixante, le Festival de Cannes ressort Freaks des placards. Le film est salué et unanimement considéré comme un chef-d'œuvre. Plus de trente ans après la sortie du film, le spectateur est alors plus acclimaté, plus préparé à accueillir et visionner le film de Tod Browning notamment suite aux horreurs de la seconde guerre mondiales ainsi que celles (déjà) montrées à la télévision.

Freaks fut une grande source d'inspiration est une référence pour grands nombres de cinéastes. On se souviendra entre autre de Fellini avec Satyricon, Jodorowski avec El Topo ou bien sûr de manière bien plus classique David Lynch avec Elephant man. Freaks aura une influence chez Tim Burton pour la compassion avec la monstruosité, les frères Farrelly avec le politiquement incorrect sur l'infirmité et de manière bien plus imposante le questionnement chair et organique présent dans la plupart des films du cinéaste David Cronenberg.

Il est bon également de faire remarquer également la série La caravane de l'étrange créée par Daniel Knauf qui se rapproche beaucoup du film par son univers du cirque. Une série de très bonne facture hélas stoppée à la fin de la deuxième saison pour des raisons financières, à la place des six prévus à l'origine.

Mon avis :

Il y a longtemps que je devais voir ce classique du cinéma et je ne suis pas déçu. Le film de Tod Browning mérite amplement son rang de chef-d'œuvre. Avec une intrigue à la fois simple et captivante, Browning nous livre une œuvre à la fois fascinante et dérangeante. Justement rapproché à Elephant man de David Lynch, Freaks est un somptueux drame sublimé par une simplicité de l'émotion que seul les cinéastes du cinéma muets avaient l'indéniable savoir faire.. Toutes les polémiques du film à l'époque sont toujours d'actualité en seulement un peu plus évolués. Un film aux thèmes universels comme les grands classiques du cinéma, terriblement novateur à l'époque et universel dans le fond.

Browning est un cinéaste qui vient du muet et cela se voit. Son avant gardiste Freaks rassemble les avantages du film muet par sa redoutable efficacité visuelle car c'est Freaks est avant tout un film sur le regard. Browning étant bonimenteur à ses débuts sait comment marche le public. Le métier de bonimenteur et de cinéaste sont d'ailleurs similaires. Le film joue là dessus en nous présentant un bonimenteur racontant une histoire d'une magnifique trapéziste avant d'enfin la voir transformée en poulet à la toute fin. Freaks est un film finalement documentaire si on peut dire sur le milieu du cirque. Le film est une histoire de bonimenteur où les « montres » sont introduits (comme encore une fois Elephant Man) et stimule l'imagination de l'auditeur et du spectateur ici pour arriver sur le lever de rideau, le dénouement. Le fait qu'on suive cette femme même mauvaise et de la découvrir ainsi à la fin empêche le film de virer au fantastique grotesque. Le tour à fonctionné à merveille. Le scénario du film est donc un fabuleux tour de bonimenteur capable de nous faire avaler n'importe quoi. Sa mise en scène fait aussi douter de la véracité de l'intrigue dès son introduction, on entre très vite en oubliant cela et on se fait embarquer proche de ces hommes à part.

Le cinéaste sait parfaitement maîtriser les images et leur puissance. Beaucoup de l'émotion passent par les plans avec un scénario simple et efficace et d'une justesse magistrale. Sachant que c'est un des premiers films parlants, il faut avouer que Freaks possède des dialogues extrêmement crus en plus d'avoir une grand force visuelle. Tout reste très moderne. Avec Fritz Lang et Charlie Chaplin, Browning est un des rares cinéastes qui a su éviter le côté théâtral et conjuguer la force visuelle de l'image avec celle du son à l'époque de la transition au cinéma. Sa modernité est encore remarquable en plus de l'ambition du film.

Le but du film étant de faire encore plus peur que son précédent film, la surprise (mauvaise à l'époque) de Freaks reste l'utilisation de vrais phénomènes de foire mais surtout d'avoir de la compassion pour ces derniers. Le cinéaste bien entendu ne dresse pas un tableau péjoratif de ces hommes comme peut-être l'attendaient certainement les studios et le public. Browning prime sur l'humanité des hommes de foire exclus de la société montrés comme bien plus moraux bien plus humains qu'un homme et une femme au physique normal mais cupide et manipulateur. La morale du film est donc très violente. Ce tour de théâtre exhibitionniste est un happy end pour le moins terrifiant qui reste dans les esprits.

La version sortie en salle est tout de même beaucoup tronquée de sa version originale. Les scènes inédites rallongerait donc le film d'une demie heure mais serait-il toujours si dérangeant et violent dans sa version intégrale ? Serait-il également si simple, si virulent et efficace ? Peut-être est il suffisant dans ce format là. Contentons nous de ce que nous avons et savourons cette magnifique petite heure de bravoure universelle aussi dérangeante que touchante.

Freaks est un film avant-gardiste qui heureusement depuis a été remit à l'honneur. Il est regrettable que Tod Browning ait été victime de son ambition et son culot. Des cinéastes lui doivent une certaine inspiration, les futurs cinéastes doivent en prendre de la graine, les cinéphiles eux se doivent de le voir et de le posséder.


La dévédéthèque parfaite :

M le Maudit de Fritz Lang, Le cirque de Charlie Chaplin, Elephant man de David Lynch.

Note : 10/10

Sources :


Les anecdotes sur le film sont extraites de l'analyse du film faite par Dick Tomasovic : De l'exhibition à la monstration, du cinéma comme théâtre du corps. L'auteur présente Freaks comme « le film du basculement esthétique et narratif, forme de représentation mineure (art forain) vers une autre devenue majeure (le cinéma), d'un processus de monstration des corps (exhibition théatrale) à un autre (le montage visuel) et d'un mode de confrontation à l'altérité (l'étranger) à un autre (étrangeté). »

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