samedi 31 janvier 2015

Phoenix



Réalisation : Christian Petzold
Scénario : Harun Farocki et Christian Petzold
D'après l'oeuvre d'Hubert Montheilhet
Durée : 1 h 45
Interprétation : Nina Hoss, Ronald Zehrfeld, Nina Kunzendorf
Genre : Le retour de Nelly de Guerre

Synopsis :

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, Nelly est une miraculée d'Auschwitz. Sans visage, elle redemande au chirurgien son ancien et souhaite retrouver Johnny, son mari. Elle s'aperçoit que Johnny l'a trahie et ne la reconnaît pas pensant que sa femme est morte dans les camps.

Voici le genre de film passionnant et bouleversant qui mérite plusieurs diffusions pour en saisir les multiples sens de lecture et différentes pistes de réflexions. Loin des machines à Oscars et des drames conventionnels, Phoenix est un peu une reprise de Sueurs froides d'Alfred Hitchcock exploitant le filon sentimental et dramatique chez une population allemande traumatisée et en totale reconstruction. Sensible, émouvant, intelligent et interprétation de Nina Hoss remarquable, Phoenix est un grand film qui vaut d'être vu.

On pense aux Yeux sans visage de Georges Franju puis à Seconds de John Frankenheimer ou même à la relecture du film d'Hitchcock de Brian De Palma Obsession. Sans trop s'appuyer sur ses différentes références, le cinéaste en tire un film hautement psychologique et émotionnel, un film unique dont rien est calculé et encore moins anecdotique. Tout y est surprenant et soulève régulièrement de nouvelles pistes de troubles et d'interprétations différentes sur les faits historiques mais également psychologiques. Si certains trouveront le jeu de dupes trop long et exagéré, pour ma part il permet de rendre le personnage de Johnny hautement plus ambigu que dans sa présentation car deux des thèmes du film des plus importants sont portés autour de lui, ceux du déni et du non dit. Coupable pas coupable ? Pour l'argent ou pas ? Si ce dernier montre officiellement une attitude de lâche, tout est bien plus intelligent et absolument pas manichéen.

Personne n'ose reparler de cette période hormis rendre hommage à ses victimes. D'ailleurs dans la mise en scène de Johnny pour l'arrivée de la nouvelle Nelly, personne ne lui posera des questions sur son passé comme il l'a prédit. L'entourloupe aurait pu fonctionner. Petzold réalise avec sensibilité un film juste et d'une densité émotionnelle formidable aidée par l'interprétation absolument renversante de Nina Hoss. A travers ses regards l'actrice transmets toutes ses émotions aux spectateurs comme dans le cinéma muet mais sans en faire trop, elle est d'une justesse époustouflante et touchante. Un talent trop rare transcendant émotionnellement le personnage de Nelly du début à la fin. Sur un filon d'histoire d'amour abîmée on trouve un scénario qui joue habilement sur le non dit et une quête passionnante sur l'identité et reconstruction d'une personne après un traumatisme. On retrouve beaucoup de symboles plus ou moins subtils mais tous traités avec une honnêteté et un sensibilité qui ne vous laisse pas indifférent.

Sur une musique Jazzy bien travaillée et bien dosée, on notera sur la très belle mise en scène une magnifique photographie. A l'image du film elle est sans fioritures, simple et d'une grande beauté. Ce film allemand est un petit chef d'oeuvre qui ne laisse pas indifférent malgré un rythme assez lent qui peut déconcentrer un peu parfois. Cependant il est pourvu d'une grande maîtrise technique et des émotions. Phoenix est ce que l'on attend d'un grand moment de cinéma, avoir des émotions ainsi que des pistes de réflexions passionnantes. Que ce soit sur la reconstruction, le choc psychologique, historique, des cultures ainsi que le regard allemand (pour une fois) de la seconde Guerre le film de Christian Petzold se doit d'être vu. Il est rempli de métaphores entre le peuple juif et allemand, l'homme et la femme, la conscience morale et culturelle de l'époque mais aussi d'aujourd'hui.

Le final est sublime, soulevant l'émotion bien sûr à son paroxysme ainsi que l'un des dilemmes les plus durs : la volonté d'avancer en prenant une indépendance totale vis à vis de son passé ou au contraire reprendre son passé, se le réapproprier, le guérir et avancer avec. Phoenix n'est pas qu'un film de réflexion pour autant, c'est un formidable drame sentimental, un des plus bouleversants que j'ai vu depuis des années. Bien entendu, il ne restera pas longtemps à l'affiche alors je ne peux que vous recommander de vous jeter dessus, à la condition de ne pas être trop déprimé à l'entrée de la séance.


Note : 9,5 / 10

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