jeudi 16 octobre 2014

Saint-Laurent



Réalisation : Bertrand Bonello.
Scénario : Thomas Bidegain et Bertrand Bonello.
Durée : 2h30
Interprétation : Gaspard Ulliel, Jeremy Rénier, Louis Garrel...
Genre : Biopic décompléxé.

Synopsis :

1967 – 1976. La rencontre de l'un des plus grands couturiers de tous les temps avec une décennie libre. Aucun des deux n'en ressortira intact.

Il n'y a que le nom de commun avec le film de Jalil Lespert sorti en début d'année et celui-çi de Bertrand Bonello. Cette version non officielle est un donc biopic un peu brouillon dans le fond avec son scénario qui s'étiole un peu dans tous les sens pour se concentrer sur ce qu'il y a de plus intéressant: le regard d'un artiste sur son oeuvre. Le film de Bonello se penche sur l'addiction, les sentiments et la passion, le métier du grand couturier dans une certaine période de la vie du personnage. Un film très seventies, très sixties, très psychédélique et viscéral. Pas de thriller, pas de grandiloquence, pas de conventionnalités au rendez-vous et je l'avoue que c'est de loin la plus grande force de cette excellente surprise. Une vraie bouffée d'air cinématographique. Bien loin de toutes les productions contemporaines, surtout en France, Saint Laurent est au même titre que La Grande Belezza de Paolo Sorrentino sorti l'an dernier : un exercice de style éblouissant, un film purement cinématographique.

Oui Saint Laurent est un excellent film mais on se demanderait bien pourquoi on a aimé car il ne se passe rien, c'est très lent, c'est même rempli de longueurs pour au final ne pas vraiment raconter grand chose. Un peu comme un film à l'italienne, le fond est souvent un peu éparpillé mais très (trop) intellectuel et référencé mais la forme est absolument magnifique et envoûtante. Esthétiquement déjà, les décors et la photographie sont sublimes. Cette dernière est à la fois précise, nette dans les reconstitutions n'en fait pas trop dans le too much et garde une beauté clinique merveilleuse. La mise en scène du cinéaste est superbe également. Onctueuse, hypnotique, délicate, subtile et d'une virtuosité qui ne vire jamais dans la complaisance ou la démonstration, je découvre enfin un cinéaste français qui ne se regarde pas filmer. Bonnelo est un cinéaste que je découvre donc ici et signe une oeuvre sans vraiment de complexes, avec un certain talent et un virtuose certain. C'est un vrai cinéaste, il ne pompe pas, il réactualise ses grandes références et la ressort dans une forme toute à fait imperceptible et inattendue. Le scénario transforme le célèbre couturier dans la quête, la philosophie et les motivations de l'artiste en général. La narration se met en pause parfois pour laisser place à des montées frivoles de mise en scène vraiment fascinantes. Le scénario est un support pour laisser place à une mise en scène prodigieuse, tout en finesse, surprise et introspective. Une véritable réflexion sur les tourments, les remises en cause sur le travail tout au long de la carrière du couturier pour le moins passionnante. Si ses histoires de coeur et d'addiction, de drogues paraissent envahissantes, elles sont tellement référencées (trop pour moi d'ailleurs, je suis loin d'avoir tout compris et apprécié tous les clins d'oeil artistiques) et à la fois dans l'esprit du personnage, du film, du montage que cela se rend cohérent, enivrant, hypnotisant. Bonnello se retrouve dans un amalgame fascinant entre Visconti, Jim Jarmush et Stanley Kubrick.

Le film n'est pas parfait car il manque un peu de vivacité et flotte par moment. Mais c'est autant son défaut qu'un des ses différents charmes vous me direz pour ceux qui ont aimés. Si cela paraît assez ennuyeux, Saint Laurent possède une âme véritable. Ce film transpire le cinéma à travers un cinéaste qui utilise musique, montage et image avec un talent monstrueux qui fait penser aux allures très Kubrickiennes donc, mais aussi Arakiennes et Polanskienne. On retrouve la lenteur, la virtuosité, la sensibilité des grands films italiens de Visconti et de Fellini avec plaisir car c'est de toute franchise, une alliance respectueuse et ingénieuse du vieux cinéma et du moderne. Toutes ces grandes références sont ponctuées par une mise en scène vraiment inventive, loin de tout cliché même si comme je l'ai déjà souligné, c'est souvent un peu trop sage. De petits pics d'humours jaillissent de temps à autres, la retenue, la sensibilité en permanence dans l'interprétation tout comme la mise en scène pour finir dans un dialogue entre le jeune et le vieux YSL fascinant. Sur une narration circulaire majoritairement de 1961 à 1976, le film explore le tableau de la nostalgie et celui du succès et de la gloire pour les faire rencontrer merveilleusement à la fin. Un biopic vertigineux, stupéfiant et hors norme.

Le problème dans tous les films français vient souvent de l'interprétation. Alors que de manière globale elle est impressionnante dans ce film, la grosse tâche du casting et hélas la seule du film vient de Léa Seydoux ô combien mauvaise et pathétique avec son surjeu permanent. Heureusement on ne la voit pas beaucoup et qu'elle parle encore moins qu'on ne la voit. Chacune des ses apparitions, chaque mots sortis de sa bouche fait descendre le film de plusieurs étages sa qualité. C'est absolument horrible, injuste que cette actrice soit la plus bankable et de loin la plus mauvaise alors qu'autour on a des interprétations particulièrement bluffantes. Je ne pensais pas le dire un jour mais Louis Garrel est époustouflant, il m'a impressionné. Renier comme toujours est à demie teinte, un coup juste un coup faux comme dans son rôle de Cloclo. Le reste du casting est excellent avec un travail d'interprétation remarquable. Mais c'est Gaspard Ulliel qui livre une prestation incroyable. Le rôle de sa carrière sans aucun doute, il est complètement mystique, en retenue mais aussi d'un charisme candide et imperceptible formidable. Ulliel porte pas mal aussi le film sur ses épaules, rendant le personnage mystérieux, insaisissable, étrange et fascinant dans l'esprit du scénario et de la mise en scène de Bonello. D'ailleurs le cinéaste cache de moins en moins la ressemblance pas tout à fait exacte entre le vrai YSL et Ulliel devant le tableau de Warhol sur la fin ce qui rend le film et le fond encore plus énigmatique. Intrigant, le film devient encore plus fascinant, cassant l'image, la ressemblance, l'artifice de plus en plus que l'on avance dans le temps. Plus on avance dans le film, plus le personnage se densifie, devient une légende qui met un peu ses cartes à plat tel un personnage Viscontien. Ulliel explose donc littéralement tout en gardant son calme, son côté énigmatique et devient un modèle magnétique fascinant à l'image du film de Bonello.

Je serais presque tenté de dire que ce film est un chef d'oeuvre mais quelques petits détails m'en retiennent pour l'instant. Peut-être dans quelques années et après une rediffusion. Si Léa Seydoux y est pour beaucoup sur le contrepoids de la balance (ça ne changera pas au fil du temps hélas) je serai également curieux de savoir si le film est plus objectivement bon car on ne voit que trop peu de cinéaste aussi intéressant doué et libre dans la forme de nos jours. Bonello nous réalise un film à l'ancienne digne d'un chef d'oeuvre italien donc, le tout en plus moderne, moins ennuyeux et contrairement à la plupart des films qui sortent : absolument pas anecdotique. Saint Laurent est un biopic complètement décomplexé de tout ce que l'on a l'habitude de voir dans le genre, il n'en porte lui aussi que quelques formes traditionnelles. Je l'apprécie encore plus avec le recul mais aussi le redoute tout autant car c'est justement parce que c'est un des rares, un des seuls films qui soit comme cela, si loin de toute ces écritures lourdes et calibrées que le film est si atypique et inclassable. Attendons de voir ce que le temps nous diras mais pour l'instant je dis un grand OUI à ce genre de production. Déçu vous serez si vous vous attendez à l'écriture d'un biopic classique comme le film de Lespert. Ce dernier qui est une version officielle est très propre, classique et conventionnelle et très bien interprété lui aussi par Pierre Niney et Guillaume Galienne. Ce Saint Laurent en garde la simple silhouette du célèbre génie de la mode, sa voix très atypique et reconnaissable, pour le reste c'est un peu comme l'art et le talent du personnage : indescriptible et inné. Deux mots qui décrivent parfaitement cet ovni à découvrir absolument.

Note : 9  /10


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