jeudi 11 juin 2015

Le Convoi de la Peur ( Sorcerer )



Réalisation : William Friedkin
Scénario : Walon Green
Adapté du livre de Georges Arnaud
Durée : 2 h
Interprétation : Roy Sheider, Bruno Cremer, Francisco Rabal, Amidou...
Genre : Explosif oublié

Synopsis :

Quatre étrangers de nationalités différentes, chacun recherché dans son pays, s'associent pour transporter un chargement de Nitroglycérine à travers la jungle sud américaine. A tout moment le convoi peut exploser en mille morceaux, les imprévus météorologiques et les obstacles naturels deviennent alors une menace permanente.

Sorcerer est un film oublié pendant des années. Désormais il est connu pour son tournage, qui a été un des plus rudes pour l'ensemble de l'équipe, mais aussi pour un des échecs les plus cuisants au box office autant pour les studios Hollywoodiens que pour William Friedkin. A l'époque le film a surtout eu la mal chance de sortir le même jour que La Guerre des Étoiles de Georges Lucas et du coup a été déprogrammé des salles deux semaines après sa sortie, puis terminé aux oubliettes. Pourtant la volonté du cinéaste pour réaliser ce film remontait à très loin, un projet qui lui tenait beaucoup à cœur. Contrairement à l'auteur du livre, Henri-Georges Clouzot n'a pas été facile à convaincre pour délivrer les droits d'adaptations. Aujourd'hui la notoriété du cinéaste auprès des cinéphiles permet à ce film d'aventures de renaître et de ressortir. 

Avant de parler pleinement du film, je tiens à préciser que Le Convoi de la Peur est différent du film d'Henry Georges Clouzot Le Salaire de la Peur. Les deux films n'ont presque que le synopsis en commun. Le chef d’œuvre de Clouzot est une peinture sociale cruelle et passionnante dans sa première partie pour virer ensuite sur un magistral suspense dramatique et psychologique. Le film français est multi-langues, parfois limite documentaire, tout ce qu'il y a de plus atypique et d'un magnétisme toujours intact. Avec de manière irréprochable beaucoup de fond et de forme, le film de Clouzot est un très grand film, sans doute un des plus grands films (et français bien évidemment) de tous les temps pour ma part. La version de William Friedkin n'a pas du tout la même démarche et ne défend pas du tout le même fond. Si bien sûr le film souffre de la comparaison avec la version des années 50, c'est surtout un produit de mise en scène. Il faut l'apprécier pour cela avant tout. D'ailleurs pour résumer, c'est le scénario qui n'est pas à la hauteur du talent de Friedkin pendant une moitié du film. Le cinéaste de French Connection n'a jamais prétendu se frotter, se comparer au film de Clouzot mais plus à coller au livre original qu'il appréciait dans sa jeunesse. Ce qui fait du Convoi de la Peur un produit bien moins atypique et plus classique, du coup plus dans le moule des productions hollywoodiennes. Cela se voit dès l'introduction avec le schéma du scénario qui respecte sagement les codes du film d'aventures et d'action classique en montrant simplement les arrestations sans véritable originalité. Si le fond manque de relief, il aurait pu être plus approfondi et subtil avec une écriture plus soignée. C'est donc dans sa forme, très musclée et qui transpire bien la patte du William Friedkin de la grande époque, que le film garde de l'intérêt. Cela pour notre plus grand plaisir. 

Tout commence de manière déjà nerveuse où l'on a droit à des portraits des personnages principaux filmés à toute vitesse mais avec une écriture pas très efficaces. On retrouve un peu l'esprit d'un film comme l'Exorciste mais avec l'impression de suivre une série B laborieuse, qui a du mal à se mettre en selle. La première demie heure a du coup un peu de mal à décoller malgré la mise en scène appuyée du cinéaste. Le plus bizarre reste cette écriture brouillonne filmée de manière nerveuse du cinéaste, on a l'impression de n'avoir qu'un metteur en scène aux commandes. Heureusement une fois le convoi lancé dans la jungle le film devient beaucoup plus palpitant. Cette traversée est d'ailleurs tout l’intérêt du film et on comprend pourquoi alors le projet intéressait le cinéaste. Friedkin allie montage et suspense avec une sécheresse et un virtuose implacable et nous offre alors un morceau de bravoure inoubliable dans le genre. Un suspense intelligent et immersif nous fait y croire pour de bon. L'action, le suspense est mené avec un brio assez scotchant. En prime on a une scène d'anthologie qui reste dans les mémoires, celle de l'affiche du film : une scène folle avec le camion sur un pont qui se balance. Un suspense démentiel que je vous laisse découvrir car il faut la voir au moins une fois dans sa vie. A elle seule cette scène montre la force du film : un cinéaste nommé William Fiedkin qui est en pleine possession de sa mise en scène. C'est du grand art.

Le scénario reste sur le long mastoc et il est loin d'être virtuose et fort. Signé Walon Green, qui avait écrit auparavant un des chefs d’œuvres de Sam Peckinpah, La Horde Sauvage, le script vaut surtout pour cette traversée parfaitement écrite. A côté de cela, les personnages restent tous un peu ternes, convenus et avec des portraits psychologiques brouillons. Trop de dit ou pas assez ? Je ne sais pas trop mais l'ensemble manque globalement de force. On a l'impression qu'il manque quelque chose au début comme à la fin. Ces faiblesses coupent un peu la portée psychologique et dramatique qu'aurait pu atteindre le film et dont il a parfois la prétention de faire. Ce côté hybride donne au Convoi de la Peur un double tranchant : lorsque l'on est avant ou après cette traversée de jungle ça ne fonctionne pas vraiment. En ce qui concerne le casting vous pouvez apprécier des acteurs qui font bien le boulot. Si Roy Scheider est le plus connu de tous, j'ai trouvé que c'est Bruno Cremer qui y est le plus brillant. Il donne le plus de corps et d'émotions à son personnage qui pourtant n'est pas très bien écrit lui aussi. L'acteur francophone est peut-être la vraie grande surprise de ce film même si je n'ai jamais douté de son talent. Peut-être la seule car on savait que Friedkin était un grand cinéaste et l'histoire du film déjà exploité avec celui de Clouzot.

Sorcerer est une adaptation irrégulière mais une redécouverte néanmoins captivante et spectaculaire. Si Friedkin voulait Steve McQueen et Lino Ventura à la base, cela ne change pas grand chose car ce n'est pas l'interprétation et le charisme qu'il manque. C'est un scénario plus percutant et original. Mais le film est un beau morceau de bravoure dans la jungle et tient en haleine sur plus d'une heure. Seul moment où il possède un scénario à la hauteur de la mise en scène du cinéaste : c'est simplement excellent. Le reste est long et manque de cachet. La fin mis à part quelques surprises de violences, est un peu lisse, un peu loupée. On savoure pendant deux heures le travail d'un cinéaste du nouvel Hollywood en pleine forme par une formidable utilisation du montage et de la musique. Comme Spielberg, Scorsese, Coppola, Peckinpah, Aldrich ou encore Brian De Palma, Friedkin est dans le cœur des cinéphiles et Le Convoi de la Peur se montre comme un produit de bonne facture qu'il serait dommage de rater. Autant pour les fans du cinéaste, du nouvel Hollywood et du genre. 

Si ce n'est pas chose faite visionnez avant tout le film d'Henry Georges Clouzot Le Salaire de la Peur. Vanel et Montand sont exceptionnel et l'ensemble d'une force internationale et une portée intemporelle. Friedkin ici manque d'un scénario plus ou moins étoffé pour livrer un plus grand film. Cela aurait pu être bien mieux mais le résultat reste tout de même une agréable redécouverte tant un metteur en scène comme William Friedkin est rare sur les écrans. Un Friedkin mineur mais intéressant. 

Note : 6,5 / 10

P.S : Après des années de promesses, Sorcerer va enfin ressortir en blu ray et dans les salles en version restaurée sous la direction de William Friedkin. Un cycle à la cinémathèque permet de redécouvrir son oeuvre et ce film maudit. Il va ressortir dans l'été 2015 dans les salles françaises pour une ressortie et je recommande largement plus d'aller le voir dans l'obscurité pour en profiter pleinement. 

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