vendredi 20 décembre 2013

Snowpiercer : Le transperceneige (Snowpiercer)






Réalisation : Bong Joon-Ho
Scénario : Bong Joon-Ho et Kelly Masterson.
Durée : 2 h
Distribution : Chris Evans, Song Kang Ho, Ed Harris, John Hurt, Tinda Swinton...
Genre : Gangs of RER.

Synopsis :

2031. Une nouvelle ère glaciaire. Les derniers survivants ont pris place à bord du Snowpiercer, un train gigantesque condamné à tourner autour de la Terre sans jamais s'arrêter. Dans ce microcosme futuriste de métal fendant la glace, s'est recréée une hiérarchie des classes contre laquelle une poignée d'hommes entraînés par l'un d'entre eux tente de lutter. Car l'être humain ne changera jamais...

Après différents exercices de styles plus que brillants, le cinéaste Bong Joon-Ho confirme avec Snowpiercer qu'il est actuellement le réalisateur qui réussi le mieux à mélanger les genres avec tant de virtuosité. Si bien sûr d'autres cinéastes brillent également en la matière, Bong Joon-Ho possède les scripts les plus riches, denses, originaux et inventifs. Une nouvelle fois à l'écriture du scénario avec la collaboration de Kelly Masterson (7h58 ce samedi là), le cinéaste coréen de The Host nous offre un blockbuster d'auteur international qui fait mesure d'ovni dans une époque où le cinéma est trop souvent aride en originalité. Rien que pour cela, Snowpiercer est un film à ne pas rater.

Inspiré d'une bande dessinée éponyme, Snowpiercer se situe entre un Spartacus de Stanley Kubrick (lutte des classes) et un Soleil vert de Richard Fleischer (côté science fiction, anticipation) le tout dans une arche de Noé. Énormément de pistes et de thèmes passionnants sont abordés dans ce scénario. Ce dernier dépeint une critique virulente de la société en général, de sa violence, de ses vices, de sa politique et de l'espoir de ses différentes classes. Une peinture pessimiste de l'Homme et de son pouvoir, ses rapports de forces et sa hiérarchie, le tout magnifiquement dépeint avec un sens virtuose du détail, de façon très crédible. En plus d'être abondamment riche, le scénario est d'une extrême habileté rythmique et narrative, digne d'un grand classique du cinéma. La mise en place est très efficace, mais tellement rapide qu'elle pourrait décourager certains : le film plongeant le spectateur dès les premières minutes dans une violence qui pourrait lui faire penser à un énième vulgaire film de violence gratuite. La suite pourtant est une fabuleuse aventure onirique et cinématographique. La conquête progressive des wagons du train est un exercice de style virtuose où suspense, humour, action, émotion et satyre sont magistralement assemblés. Plusieurs visionnages s'annoncent indispensables pour capter et saisir plus de détails.

A la fois accessible, ambigu et très suggestif, Snowpiercer ne tombe jamais dans la facilité, le too much et encore moins la niaiserie. Tout est traité dans une grande pudeur, sincérité et élégance. Le cinéaste de Mother prend le temps de faire des pauses dans l'action et de donner encore plus d'ampleur à son scénario afin de rendre les différents tons à son film qui est un véritable éventail à émotions. Également très bien maîtrisé dans son rythme, on ne ressent aucune longueur grâce à une intrigue impalpable et remplie de rebondissements régalant (la scène du tunnel par exemple). Un peu comme le début du film, le final peut décevoir par la rapidité du dénouement, et le face à face succinct entre Winston et Curtis. S'il doit certainement exister une version un peu plus longue, pour ma part cette fin est juste magistrale et d'une cohérence parfaite. Le cinéaste n'en fait pas des tonnes et ne prend pas le public pour un idiot.

Côté interprétation, ma plus grande surprise est Chris Evans. Ce dernier compose ici une des plus grandes prestations d'acteurs de ces dernières années. Sans que le film ne lui offre un « rôle à oscar » il délivre une prestation à la fois grandiose et subtile où il est à la fois impérial, vulnérable et torturé dans le rôle du meneur aussi ambigu qu'attachant. Le choix d'Ed Harris a déjà été utilisé par d'autres cinéastes dans le domaine du machiavélisme (Peter Weir, David Cronenberg), et s'avère une nouvelle fois payant, en effet, il dégage un charisme époustouflant. Tilda Swinton marque les esprits dans son personnage aussi abominable moralement que physiquement. L'habitué au cinéaste et irrésistible Song Kang-Ho compose un numéro de fée clochette explosif aussi dopé que roublard. On appréciera également le grand acteur John Hurt en guise d'hommage dans le rôle de Gilliam. Le reste du casting est également aussi régalant que judicieux, dont même le trop souvent oublié Jamie Bell.

Bong Joon-Ho nous plonge dans un fabuleux huis clos, une épopée sociale qui oscille en permanence entre le thriller, le film d'aventures et d'anticipation. Réalisé avec une grande maestria, Bong Joon-Ho réussit une merveilleuse alliance de la culture du cinéma hollywoodien et du cinéma asiatique tout en conservant sa touche particulière. Le cinéaste est toujours aussi habile avec l'émotion, le thriller et la psychologie marquée de ses personnages. La mise en scène est sensible, juste et intelligente avec un fascinant sens de l'image et un travail sur l'espace surprenant. Ce huis clos est paradoxalement très aéré par sa narration (beaucoup d'événements) et oppressant (effet carcéral garanti). La bande originale, très belle, donne de l'ampleur et du relief, mais n'appuie jamais trop lourdement les actions comme on peut le voir trop souvent dans la plupart des films actuels. La violence est un sujet tabou comme chaque fois : ici elle est esthétique sans être particulièrement sublimée ni enlaidie. Le travail de l'image fait parfois penser à des vignettes de bande dessinée. Hormis les effets spéciaux (sur l'extérieur du train) qui vieilliront certainement assez vite, la photographie est particulièrement belle.

Après son court métrage réussi dans Tokyo, Bong Joon-Ho confirme son talent dans le huis clos. Si Le transperceneige est actuellement le film du cinéaste contenant le plus de violence physique, cette dernière n'est pas gratuite et ajoute une touche de crédibilité. Les cassures de rythmes, les contre-pieds narratifs peuvent dérouter les plus adeptes aux blockbusters classiques. A croire que le cinéaste s'est donné le défi de déformer toutes les ficelles du genre. Ce film est à l'image des autres films du cinéaste : un ovni passionnant. Il est certainement son film le plus risqué mais aussi son plus réussi, en tout cas du même gabarit que Memories of Murder et Mother.

Sans faire du Malick ou du grand film contemplatif, le cinéaste coréen démontre que le grand cinéma peut parfois se trouver dans les salles grand public. Un blockbuster habile et très intelligent (oui vous avez bien lu les mots « habile » et « intelligent » dans la même phrase que « blockbuster ») aussi bien dans le fond que dans la forme. Le cinéaste insuffle son grand talent de conteur et de metteur en scène dans un blockbuster dont il reforge avec brio toutes ses lettres de noblesses. Pour ma part, Le transperceneige est également actuellement le meilleur film sur le thème de la fin du Monde, surtout par son côté inventif. Cette conquête de cette arche de Noé des temps modernes est certainement un des plus grands exercices de style que j'ai eu l'occasion de voir au cinéma. Un tour de force impressionnant qui fait clairement de Bong Joon-Ho un des plus grands cinéastes contemporains.

Ce film figurerait pour ma part dans le top dix des meilleurs films des années 2000.

PS : Le montage américain a coupé la fameuse séquence de l'école. A voir comment ils se sont débrouillés...

Note : 10/10

La dévédéthèque parfaite dans le même thème :

Soleil vert de Richard Fleischer, Spartacus de Stanley Kubrick et La planète des singes de Franklin J Schaffner. 

Aucun commentaire: