Réalisation : Jacques Audiard
Scénario : Noé Debré, Thomas Bidegain et Jacques Audiard
Durée : 1 h 50
Interprétation : Anthonythasan Jesuthasan, Kalieaswari Srinivasan, Claudine Vinasithamby, Vincent Rottiers, Marc Zinga, Joséphine De Meaux...
Genre : Les Miller famille sans herbe
Synopsis :
Fuyant la Guerre Civile au Sri Lanka, un ancien soldat, une jeune femme et une petite fille se font passer pour une famille. Réfugiés en France dans un quartier sensible, se connaissant à peine, ils tentent de se construire un foyer.
Si Pialat ou Kechiche ont eu la palme d'or il était logique que Jacques Audiard la reçoive un jour. Cela car non seulement il est le meilleur des cinéastes français palmés pour ma part, surtout parce qu'il se renouvelle de film en film et ceci depuis ses tout débuts contrairement aux autres. Ce qui est loin le cas de beaucoup de cinéastes d'ailleurs.
Autant De rouille et d'os m'avait complètement laissé de marbre que pour Dheepan j'ai beaucoup aimé. Beaucoup diront qu'il y a des clichés et une idéologie douteuse sur l'Angleterre comme paradis terrestre pour tous les migrants. Seulement Jacques Audiard n'a jamais eu la prétention d'être réaliste ni pertinent sur le sujet, il fait un film et soigne sa qualité cinématographique avant tout. Ici on retrouve un mélange des genres du drame social qui vire lentement au thriller d'action vers sa fin. Un peu comme si le meilleur du cinéma anglais et coréen se mêlaient l'un et l'autre pendant plus d'une heure et demie pour un résultat exceptionnel. La transition des genres manque un peu de virtuose scénaristique dans les dernières vingt minute et du coup laisse place une légère amertume à la fin. Avec le recul,l'ensemble est d'une cohérence implacable. Seulement cette petite faiblesse l'empêche d'être pour moi un chef d'oeuvre et d'avoir la continuité magnétique d'Un Prohète et De Battre Mon Coeur s'est arrêté, pour ma part ses deux plus grands films.
L'actualité a aujourd'hui rattrapé le sujet du film et peut-être que les critiques seront plus dures et les spectateurs moins nombreux dans les salles. Dommage car pour ma part Dheepan est un exercice de style comme le tente Bong Joon Ho. Ici il n'y a pas d'humour mais on apprécie la formidable exploitation du sujet. Les trois quart du film sont absolument bouleversantes quand on suit cette famille qui se construit sans se connaître, entre crise, amour, déception, espoir et les problèmes du quotidien. Le scénario nuance beaucoup et nous touche vraiment au cœur de leur situation. On ressent bien la patte du scénariste de Saint Laurent de Bonnelo Thomas Bidegain. C'est un scénariste à suivre de près qui a une très grande maîtrise de l'émotion juste et avec un crescendo parfait. Les acteurs sont parfaits et la mise en scène très juste et jamais tape à l'oeil d'Audiard fait des merveilles. Cette partie là relève du chef d'oeuvre et mérite amplement la Palme d'Or.
Il reste la dernière partie qui se transforme lentement en cauchemar Scorsesien et en fusillade à la Peckinpah. Le final est filmé de manière toute aussi intense et spectaculaire qu'un film d'Amérique du sud et que Michael Mann ne doit pas renier. Du grand art. Dommage que le scénario pêche un peu juste avant lorsque l'identité de Dheepan se fait menacer. Cette piste est inutile, peu intéressante et la plus maladroite du scénario. A côté de cela Vincent Rottiers est très bon, tout comme l'ensemble de l'interprétation française. Audiard signe son tour de force à la fin car oui le passage à l'Angleterre peut-être de trop. Mais Audiard n'est pas niais encore moins naif, c'est une référence évidente à Taxi Driver. Faux happy end, ou faux paradis évidemment. On les retrouve peut-être plus intégré mais n'est ce pas simplement juste le milieu social qui veut cela. Sont-ils heureux ensemble ? Nous n'en savons strictement rien sur eux, d'ailleurs il n'y a pas un dialogue. Bien qu'elle reste complètement décalée du reste du film elle est pertinente et ambiguë. Le scénario brosse aussi un état des lieux de la banlieue française peu nuancé parfois mais fort, comme celui fait sur la prison dans Un Prophète.
Jacques Audiard a toujours été influencé par le cinéma de Scorsese, surtout dans son remake de Melodie pour un meurtre, avec De Battre mon Cœur s'est arrêté. Ici c'est plus flagrant dans le scénario sur la fin et moins dans sa mise en scène. Ce qu'il a en commun avec le cinéaste italo-américain, c'est d'avoir la capacité de lui aussi se renouveler et d'avancer de film en film mais aussi de garder son style et de se servir de ses références et influences intelligemment J'ai trouvé Dheepan exceptionnel et unique, virtuose pendant une heure trente puis pertinent et avec une très grosse mise en scène sur les dernières vingt minutes. Peut-être pas le Jacques Audiard le plus grand et parfait mais loin d'être son plus mauvais. Si le film a été primé pour l'ensemble de la carrière du cinéaste Dheepan ne démérite pas son prix, il est bien à l'image de son réalisateur, en pleine forme. J'ai trouvé que c'était du grand cinéma et ce n'est pas le cas de tous les films, surtout en France.
Note : 9 / 10