Réalisation : Martin Scorsese
Scénario : Joyce H. Corrington et John William Corrington
Tiré du livre Sisters of the Road de Ben L. Reitman
Durée : 1 h 30
Interprétation : Barbara Hershey, David Carradine, Barry Primus...
Genre : Série B tourmentée
Synopsis :
Pendant la Grande Dépression dans l'Arkansas, une jeune fille, Bertha Thompson, assiste à la mort accidentelle de son père, provoquée par un employeur tyrannique. Seule, sans toit ni travail, elle se retrouve sur les routes et utilise les wagons des trains de marchandises pour se déplacer. Son surnom de "Boxcar Bertha" Fourgon à Bestiaux lui viendra de là. Elle fait la connaissance de Bill Shelly, un syndicaliste qui va lui transmettre sa révolte. Tous deux deviennent des pilleurs de trains confirmés.
Ce deuxième long métrage est en réalité le premier réalisé de manière professionnelle pour Martin Scorsese. Sans surprise, il débute donc dans l'écurie Roger Corman, producteur de série B à Z qui recrutait de jeunes cinéastes talentueux et motivés (et surtout pour pas très chers) pour faire des films d'exploitations. Le cinéaste avoue que c'est une de ses plus grandes chances d'avoir commencé sous l’œil Roger Corman car c'était un producteur qui travaille à l'économie mais qui laisse cependant une très grande liberté au cinéaste. Le cinéaste n'avait en revanche pas le droit de modifier le scénario mais avait la plus grande liberté sur sa mise en scène. Roger Corman n'hésitait pas à lui porter conseil de temps en temps.
C'est d'ailleurs beaucoup du charme de ce film assez méconnu dans la filmographie du cinéaste. Boxcar Bertha est un bon film assez étonnant où l'on ressent tout le long la mise en scène électrique de Scorsese dans un scénario qui n'est hélas pas toujours à la hauteur. Le script est un peu plat et recycle l'intrigue du succès commercial de Bonnie and Clyde et les films de Série B que l'on pouvait voir à l'époque un peu partout dans les salles. L'histoire reste cependant intéressante mais traitée de manière un peu plate sans être pour autant très frustrante. Cependant le cinéaste a de la chance déjà de trouver des thèmes qui le touche ainsi qu'un scénario loin d'être très mauvais ce qui était fréquent dans les productions de ce genre. Si le cinéaste n'aimait pas trop le scénario, il s'applique nerveusement à mettre le tout en scène de manière déjà pour le moins impressionnante. Une photographie soignée et une musique composée très présente se ressent. C'est entraînant et le cinéaste joue de manière troublante le décalage entre la comédie et les parties plus dramatiques du début à la fin. On y retrouve un montage speedé avec beaucoup d'inserts et un travail d’échelle des plans remplit de rage et d'aise comme dans l'ensemble de l'oeuvre du cinéaste. C'est très nerveux parfois inventif mais parfois moins car la référence à un autre film est plus forte que l'idée exprimée. On retrouve également de fulgurantes montées de violences parfois très référencées au cinéma (génial) d'Arhur Penn ou de Sam Peckinpah. Parfois elles sont aussi intenses, c'est dire.
A côté de toutes ces références du film de gangster et du western de l'époque, Scorsese développe de manière troublante et touchante une liaison amoureuse, sociale et psychologique très intéressante entre le personnage de Bertha et de Bill. Je la trouve personnellement assez osée et réussie. On ressent que Scorsese outre sa technique maîtrisée se penche sur l'interprétation et c'est clairement ce qui change la donne des autres films dans le genre. Le cinéaste d'ailleurs disait à son ami Coppola que ce qu'il aimait le plus dans les films de commandes était sans aucun doute l'interprétation des acteurs. L'interprétation est effectivement superbe et rend palpable les messages, les émotions et la violence du film que le scénario a du mal transmettre au spectateur. On retrouve ici son influence sur le cinéma italien avec sa simplicité du cadre et du montage à saisir l'émotion des acteurs, parfois allant dans l'intimité. Le cinéaste joue aussi sur les points de vue, on suit bien le personnage féminin de Bertha mais on reste toujours assez distant quand même pour rester dans la fiction policière et même documentaire. Oui, on est déjà dans du pur cinéma de Scorsese même si le film n'a l'allure que d'un film de commande très bien illustré. Pour ceux qui pensent que le cinéaste ne fait que des films avec des hommes, ils oublient ce film ainsi que son prochain film Hollywoodien Alice n'est plus ici. Les deux personnages principaux féminins de ces deux films sont superbes, tous deux très référencés déjà visuellement au personnage de Dorothy du Magicien d'Oz de Victor Fleming. Si Barbara Hershey n'a pas eu d'oscar d'interprétation contrairement à Ellen Burstyn, c'est une performance toute aussi remarquable qui mérite d'être soulignée. A cette époque en plus, très peu de rôle féminin était autant aussi mis en avant. Dommage que le cinéaste n'en fasse pas plus souvent car ses deux essais sont très convaincants. On trouve face à Barbara Hershey l'excellent David Carradine qui joue un Bill, avant celui beaucoup plus connu de Tarantino des années plus tard. Il est sublime également, il est aussi intéressant. Cela montre que Scorsese est avant tout un très grand directeur d'acteur, un improvisateur de génie et qui donne souvent les meilleurs rôles aux acteurs qu'il dirige.
Boxcar Bertha est un film qui aurait pu être une série B moyenne si ce n'était pas Martin Scorsese derrière la caméra. Ce premier film au montage et à la mise en scène impressionnante nuance beaucoup de trouble et de violence sur une époque très intéressante de l'histoire des Etats-Unis. C'est un film à redécouvrir cependant pour un public averti, on y trouve une scène de crucifixion choquante et d'une violence toujours assez inouïe qui sera des années après un peu reprise dans un de ses projets les plus personnels avec La dernière Tentation du Christ. Comme d'habitude le cinéaste est violent mais n'entre jamais dans la complaisance ce qui rend ce film plutôt un film sérieux qu'une série B. Ce film d'ailleurs est toujours choquant et violent, il est classifié interdit aux moins de seize ans en France et reste toujours un des plus violents du cinéaste.
Note : 7 / 10
L'anecdote du fan de Scorsese :
Quatre années avant de réaliser ce film, le cinéaste devait mettre en scène un film sur les mêmes thèmes que Boxcar Bertha et également tiré d'un véritable fait divers : Les Tueurs de la Lune de Miel.
Après une semaine de tournage l'auteur du scénario et producteur Leonard Kastle et le cinéaste ne s'entendent pour divergences artistiques. C'est finalement Leonard Kastle qui l'a réalisé et ce sera son unique film. Scorsese avouera que c'était bien mieux ainsi car c'était trop dur pour un premier film de studios. Dans les trois premières minutes du film on ressent des mouvements de caméras purement Scorsesiens, il n'y a aucun doute que Leonard Kastle ait gardé ces quelques prises.
Le film est devenu culte à l'état pur, une réussite absolue d'une violence et d'une écriture aussi forte que remarquable qui en fait un très grand film. Je recommande très fortement le visionnage de ce grand film.
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