mardi 18 novembre 2014

La prochaine fois je viserai le coeur




Réalisation et scénario : Cédric Anger
D'après le fait divers et la nouvelle « Un assassin au-dessous de tout soupçon » d'Yvan Stefanovitch.
Durée : 1 h 40
Interprétation : Guillaume Canet, Ana Girardot, Jean-Yves Berteloot...
Genre : Glaçant.

Synopsis :

Le film retrace l'affaire Alain Lamarre, un gendarme de l'Oise qui tuait des jeunes filles sans véritables raisons et enquêtait du coup sur ses propres meurtres.

Le cinéma français se porte bien cette année 2014 et le film de Cédric Anger en est une preuve de plus. Il y a longtemps qu'un cinéaste n'avait pas signé un polar si glacial, troublant, atmosphérique et possédant une sobriété et une ambiguïté si impressionnante que l'on pourrait le ranger sans problème dans la lignée du cinéma de Jean-Pierre Melville ou du meilleur de Claude Chabrol. A l'image du jeu implacable de Guillaume Canet, son meilleur rôle actuellement, ce film est une véritable surprise dont on ne ressort pas indemne.

Le fait divers est aussi étonnant qu'effrayant. Le film l'est tout autant grâce entre autre à un scénario poussé à l'extrême dans le côté factuel des faits opposé à la tenaille psychologique du personnage qui se referme doucement sur lui, avec un côté documentaire et psychédélique horrifique qui nous triture la cervelle à volonté. Si vous voulez voir un film avec une intrigue policière classique, approfondie et même concise ou encore si vous souhaitez avoir des réponses sur la psychologie du personnage, ce film n'est pas pour vous. Le scénario se concentre sur la reconstitution précise des faits et laisse en dehors toute psychologie, offrant uniquement une multitude de pistes que le spectateur se gardera le plaisir de réfléchir longtemps après la fin de la séance. Si on se souvient du traitement plutôt décevant du film sorti l'an dernier ayant la même ambition d'Ariel Vromen (The Iceman avec Michael Shannon) , Cédric Anger nous plante le décors de manière violente et glaciale dès le départ avec une séquence d'introduction qui donne le ton. Le film est à l'image du tueur : froid, sobre et d'une incroyable inflexibilité qui nous dérange. On ne sait jamais ce qu'il pense ou quelles peuvent être ses réactions. Le public reste tout le long simple observateur, le déteste et l'apprécie à la fois tant il est intriguant et horrible. Pas de clés nous sont offertes sur le pourquoi du comment donc et, un peu comme Alain Delon dans Le Samouraï, la mise en scène magnifie Canet en le rendant aussi faillible qu'imperceptible. Si Canet ne possède pas le magnétisme, la beauté plastique et intriguante de Delon et la prestance de Shannon, il a un cinéaste avec lui qui ne manque pas de le rendre intriguant à souhait et l'acteur sait se montrer à la hauteur de l'événement. Canet ne porte pas le film sur les épaules comme dans pas mal de films avec des grandes pointures en tête d'affiche. Ce qui ne l'empêche pas de briller, il est étincelant parce que le film est excellent et c'est tout à son honneur. 

D'une grande rigueur documentaire, le scénario est aussi respectueux que troublant et soulève une force paranoïaque en nous qui met pour le coup vraiment mal à l'aise. Ce personnage titille effectivement de manière plus viscérale que prévue notre effroi sur la confiance que l'on porte envers l'autre. En permanence la confiance que porte tout l'entourage innocent envers le personnage principal nous agite intérieurement, il s'agit en plus d'un représentant des forces de l'ordre, l'image de la sécurité dans notre société. Voilà certainement ce qu'il y a de plus effrayant dans ce film et le cinéaste joue beaucoup avec, sans pour autant trop en abuser non plus. Le ton passe habilement et sagement du noir à des pointes de suspense et de stress extrêmes. Comme tous bons films, les moments les plus détendus sont bien jaugés pour mieux nous reprendre les nerfs à vifs ensuite. Sans rendre le personnage héros, ni anti-héros le réalisme des situations scotche toute envolée scénaristique les plus improbables que l'on retrouve dans n'importe quel polar. Tout est terriblement réaliste et le cinéaste joue avec un certain plaisir et un savoir faire d'acier à nous offrir du tourment avec ce matériau. Son travail de mise en scène est solide presque comme un Melville, le magnétisme en moins mais la touche moderne et intrigante en plus. Cédric Anger peut compter aussi sur une sublime composition de Gregoire Hetzel qui tourmente à souhait tout le long son public. Une des plus belles musiques de film que j'ai entendue depuis bien longtemps pour ma part. En accompagnement on notera aussi une formidable séquence sur The Black Angel's Death Song du Velvet Underground qui nous plonge définitivement dans l'ambiance torturée et stridente du film. Les morceaux déjà existants sont justifiés et fonctionnent parfaitement avec le réalisme de l'époque, du lieu et du contexte. La mise en scène est donc d'une solidité et d'une simplicité remarquable et en totale adéquation avec son scénario qui possède un crescendo de suspense efficace et de plus en plus poignant. Ce fameux polar est extrêmement millimétré, on sent la tension qui monte sans cesse du début à la fin semblable à un Fincher (Zodiac) ou plutôt un Sam Raimi sobre (Un plan simple). On peut trouver cela lent et plat si vous n'entrez pas dedans ou encore si vous vous attendez à voir un suspense avec un opposant réel en face du personnage principal. Le seul opposant de ce psychopathe est clairement lui même et le scénario s'étale lentement et sûrement dans ses relations périphériques de ce tueur que tout le monde affectionne mais pourtant visiblement très louche. On trouvera une relation « amoureuse » particulièrement intéressante avec Sophie en opposition avec les meurtres violents des jeunes filles. Cela pousse encore le trouble avec une homosexualité refoulée du personnage dans une séquence particulièrement intrigante elle aussi. Beaucoup de pistes, pas de réponses et il est important de noter que la police n'est pas vraiment ridiculisée sans pour autant être mise en valeur non plus.

Ce film est donc la version réussie du film d'Ariel Vromen qui ne tenait pas ses promesses pour son côté dénué de psychologie jusqu'à la fin. Le fait divers fait également penser au chef-d'oeuvre d'Elio Petri Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon avec le grandiose Gian Maria Volonté que je recommande dans tous les cas à tous le monde de revoir ou encore mieux de découvrir. Beaucoup moins plombant que le style de Jacques Audiard très psychologique, Anger signe un film qui n'est absolument pas spectaculaire et encore moins américanisé dans sa recette. La prochaine fois je viserai ton coeur est un polar qui fait plaisir à voir, à écouter et à savourer cinématographiquement même si c'est clair qu'on ressent à la première lecture du vrai thriller comme on en voit trop rarement. On tremble. On retrouve beaucoup de cinéma à l'ancienne qui n'existe quasiment plus du tout et qui pour ma part se fait souvent désirer par les ambitions et les talents des mises en scènes et des scénarii en béton armé que l'on retrouve dans des films d'Henri Verneuil, Claude Chabrol, Henri Georges Clouzot ou comme je le disais Jean-Pierre Melville. Côté interprétation elle reste plus que raisonnable. Guillaume Canet a prouvé qu'il était bon acteur auparavant (Espion(s), L'affaire Farewell) et surprend ici. Il sera sans doute dans les nominations des Césars en concurrent direct avec Duris et Ulliel. Ana Girardot après un détour à l'international et dans la salle d'à côté avec Paradise Lost l'espace d'un petit temps, se révèle être une actrice très convaincante. On entendra sûrement parler d'elle dans quelques temps. Olivier Marchal et surtout Fred Cavayé peuvent prendre la leçon ici car les flics chez Anger jouent tous de manière justes et ne sont pas caricaturaux.


Tourné avec seulement quatre millions d'Euros, cette reconstitution impressionnante illustre techniquement un travail de très grande qualité et qui mérite tous les honneurs à la vue de son brillant résultat, si en plus on le compare avec les gros budgets que l'on peut voir à côté dans le cinéma français. Pour ma part La prochaine fois je viserai le coeur est un des meilleurs films de l'année, chapeau bas à Cédric Anger et toute l'équipe, c'est du très beau travail.  

Note : 9  / 10

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