Réalisation et scénario : Cédric Anger
D'après le fait divers et la nouvelle
« Un assassin au-dessous de tout soupçon »
d'Yvan Stefanovitch.
Durée : 1 h 40
Interprétation : Guillaume
Canet, Ana Girardot, Jean-Yves Berteloot...
Genre : Glaçant.
Synopsis :
Le film retrace l'affaire Alain
Lamarre, un gendarme de l'Oise qui tuait des jeunes filles sans
véritables raisons et enquêtait du coup sur ses propres meurtres.
Le cinéma français se porte bien
cette année 2014 et le film de Cédric Anger en est une preuve de
plus. Il y a longtemps qu'un cinéaste n'avait pas signé un polar si
glacial, troublant, atmosphérique et possédant une sobriété et
une ambiguïté si impressionnante que l'on pourrait le ranger sans
problème dans la lignée du cinéma de Jean-Pierre Melville ou du
meilleur de Claude Chabrol. A l'image du jeu implacable de Guillaume
Canet, son meilleur rôle actuellement, ce film est une véritable
surprise dont on ne ressort pas indemne.
Le fait divers est aussi étonnant qu'effrayant. Le film l'est tout autant grâce entre autre à un
scénario poussé à l'extrême dans le côté factuel des faits opposé à la tenaille psychologique du personnage qui se referme doucement sur
lui, avec un côté documentaire et psychédélique horrifique qui nous
triture la cervelle à volonté. Si vous voulez voir un film avec
une intrigue policière classique, approfondie et même concise ou
encore si vous souhaitez avoir des réponses sur la psychologie du
personnage, ce film n'est pas pour vous. Le scénario se concentre
sur la reconstitution précise des faits et laisse en dehors toute
psychologie, offrant uniquement une multitude de pistes que le
spectateur se gardera le plaisir de réfléchir longtemps après la
fin de la séance. Si on se souvient du traitement plutôt décevant
du film sorti l'an dernier ayant la même ambition d'Ariel Vromen (The Iceman avec
Michael Shannon) , Cédric Anger nous plante le
décors de manière violente et glaciale dès le départ avec une
séquence d'introduction qui donne le ton. Le film est à l'image du
tueur : froid, sobre et d'une incroyable inflexibilité qui nous
dérange. On ne sait jamais ce qu'il pense ou quelles peuvent être
ses réactions. Le public reste tout le long simple observateur, le déteste et l'apprécie à la fois tant il est intriguant et horrible. Pas de clés
nous sont offertes sur le pourquoi du comment donc et, un peu comme Alain Delon dans Le Samouraï, la mise en scène magnifie Canet en le
rendant aussi faillible qu'imperceptible. Si Canet ne possède pas le
magnétisme, la beauté plastique et intriguante de Delon et la prestance de Shannon, il a un
cinéaste avec lui qui ne manque pas de le rendre intriguant à
souhait et l'acteur sait se montrer à la hauteur de l'événement.
Canet ne porte pas le film sur les épaules comme dans pas mal de
films avec des grandes pointures en tête d'affiche. Ce qui ne l'empêche pas de briller, il est étincelant parce que le film est excellent et c'est tout à son honneur.
D'une grande rigueur documentaire, le
scénario est aussi respectueux que troublant et soulève une force
paranoïaque en nous qui met pour le coup vraiment mal à l'aise. Ce personnage
titille effectivement de manière plus viscérale que prévue notre effroi sur la confiance que l'on porte envers l'autre. En permanence la confiance que porte tout l'entourage innocent envers
le personnage principal nous agite intérieurement, il s'agit en plus d'un représentant des forces de l'ordre, l'image de la sécurité dans notre société. Voilà
certainement ce qu'il y a de plus effrayant dans ce film et le cinéaste joue beaucoup avec, sans pour autant trop en abuser non plus. Le ton
passe habilement et sagement du noir à des pointes de suspense et de
stress extrêmes. Comme tous bons films, les moments les plus
détendus sont bien jaugés pour mieux nous reprendre les nerfs à
vifs ensuite. Sans rendre le personnage héros, ni anti-héros le
réalisme des situations scotche toute envolée scénaristique les
plus improbables que l'on retrouve dans n'importe quel polar. Tout est terriblement réaliste et le cinéaste
joue avec un certain plaisir et un savoir faire d'acier à nous
offrir du tourment avec ce matériau. Son travail de mise en scène est solide presque comme un Melville, le
magnétisme en moins mais la touche moderne et intrigante en plus. Cédric
Anger peut compter aussi sur une sublime composition de Gregoire
Hetzel qui tourmente à souhait tout le long son public. Une des plus belles musiques de film
que j'ai entendue depuis bien longtemps pour ma part. En accompagnement on notera aussi une formidable séquence sur The Black Angel's Death
Song du Velvet Underground qui nous plonge définitivement dans
l'ambiance torturée et stridente du film. Les morceaux déjà existants sont justifiés et fonctionnent parfaitement avec le réalisme de l'époque, du lieu et du contexte. La mise en scène est donc d'une solidité et d'une simplicité
remarquable et en totale adéquation avec son scénario qui possède un
crescendo de suspense efficace et de plus en plus poignant. Ce fameux
polar est extrêmement millimétré, on sent la tension qui
monte sans cesse du début à la fin semblable à un Fincher (Zodiac)
ou plutôt un Sam Raimi sobre (Un plan simple). On peut trouver cela lent et plat
si vous n'entrez pas dedans ou encore si vous vous attendez à voir un
suspense avec un opposant réel en face du personnage principal. Le seul
opposant de ce psychopathe est clairement lui même et le scénario
s'étale lentement et sûrement dans ses relations périphériques de
ce tueur que tout le monde affectionne mais pourtant visiblement très
louche. On trouvera une relation « amoureuse »
particulièrement intéressante avec Sophie en opposition avec les
meurtres violents des jeunes filles. Cela pousse encore le trouble avec une homosexualité refoulée du personnage dans une séquence
particulièrement intrigante elle aussi. Beaucoup de pistes, pas de
réponses et il est important de noter que la police
n'est pas vraiment ridiculisée sans pour autant être mise en valeur non plus.
Ce film est donc la version réussie du
film d'Ariel Vromen qui ne tenait pas ses promesses pour son côté
dénué de psychologie jusqu'à la fin. Le fait divers fait également
penser au chef-d'oeuvre d'Elio Petri Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon avec le grandiose Gian Maria Volonté que je
recommande dans tous les cas à tous le monde de revoir ou encore mieux de découvrir. Beaucoup
moins plombant que le style de Jacques Audiard très psychologique,
Anger signe un film qui n'est absolument pas spectaculaire et encore
moins américanisé dans sa recette. La prochaine fois je viserai ton
coeur est un polar qui fait plaisir à voir, à écouter et à
savourer cinématographiquement même si c'est clair qu'on ressent à
la première lecture du vrai thriller comme on en voit trop rarement. On tremble. On retrouve beaucoup de cinéma à l'ancienne qui n'existe quasiment
plus du tout et qui pour ma part se fait souvent désirer par les
ambitions et les talents des mises en scènes et des scénarii en
béton armé que l'on retrouve dans des films d'Henri Verneuil,
Claude Chabrol, Henri Georges Clouzot ou comme je le disais Jean-Pierre Melville. Côté interprétation elle reste
plus que raisonnable. Guillaume Canet a prouvé qu'il était bon
acteur auparavant (Espion(s), L'affaire Farewell) et surprend ici. Il sera sans doute dans les nominations des Césars en
concurrent direct avec Duris et Ulliel. Ana Girardot après
un détour à l'international et dans la salle d'à côté avec
Paradise Lost l'espace d'un petit temps, se révèle être une actrice
très convaincante. On entendra sûrement parler d'elle dans quelques temps. Olivier Marchal et surtout Fred Cavayé
peuvent prendre la leçon ici car les flics chez Anger jouent tous de
manière justes et ne sont pas caricaturaux.
Tourné avec seulement quatre millions
d'Euros, cette reconstitution impressionnante illustre techniquement
un travail de très grande qualité et qui mérite tous les honneurs
à la vue de son brillant résultat, si en plus on le compare avec les gros budgets
que l'on peut voir à côté dans le cinéma français. Pour ma part
La prochaine fois je viserai le coeur est un des meilleurs films de
l'année, chapeau bas à Cédric Anger et toute l'équipe, c'est du
très beau travail.
Note : 9 / 10
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