Réalisation : Tod
Browning
Scénario : Willis
Goldbeck, Leon Gordon, Edgar A. Woolf et Al Boasberg
Adapté de Spurs
nouvelle de Tod Robbins
Durée : 59
minutes
Distribution :
Wallace Ford, Olga Boclanova, Leila Hyams...
Genre : Avant
gardiste.
Synopsis :
Des êtres difformes, se
produisant dans un cirque, poursuivent de leur vengeance une belle
acrobate et de son complice qui ont abusés l'un des leurs. Quand les
monstres ne sont pas ceux que l'on croit. Freaks est un
classique du cinéma.
Arrêt sur Tod
Browning :
Petite anecdote pour
commencer : Tod est le prénom choisit par le cinéaste car il
signifie « mort » en allemand. Son vrai prénom est
Charles Albert Browning.
Avant d'entrer comme
assistant réalisateur de D.W Griffith, Tod Browning était
bonimenteur, rabatteur dans un cirque. Une fois dans le milieu du
cinéma il est très prolifique et très bien vu des studios pour
finir dans les temps, sans dépasser le budget ses films. Browning
travaille beaucoup en triangle aux postes d'assistant réalisateur,
scénariste et réalisateur. Le cinéaste trouve rapidement une
notoriété avec la complicité de Lon Chaney, un grand acteur du
cinéma muet qu'il a au passage révélé. Suite au décès de son
acteur fétiche, Browning prendra Bela Lugosi pour interpréter
Dracula en 1931.
Si le cinéaste haïra sa
version définitive, l'adaptation du livre de Stoker fut un immense
succès critique et public et lui donna une très grande popularité.
Cela lui offrit donc la possibilité de tourner Freaks, un
projet qui lui tenait à coeur. C'est en quelque sorte le premier
film hollywoodien indépendant. A la suite d'un tournage maudit,
Freaks fut un scandale général et coulera directement la
réputation ainsi que la carrière du cinéaste. Boudé par le public
et la presse, personne ne veut entendre parler de Browning. Ses films
suivants sont des échecs commerciaux et les producteurs finissent
par ne plus l'engager avec son étiquette de « Freaks ».
A la fin de sa vie le cinéaste tentera d'écrire une adaptation du
fabuleux livre They Shoot horses don't they ? D'Horace McCoy.
Sidney Pollack lui dédiera sa majestueuse adaptation homonyme de
1969. Browning termine ses jours sans vouloir entendre parler de
cinéma en 1962.
Comme pas mal d'artiste,
Tod Browning était un homme très torturé. Jeune il fut témoin
dans un hôtel de la banlieue de Chicago du suicide d'une mère de
famille dans sa baignoire, après avoir tué ses deux enfants. Marqué
par cette extrême violence, une noirceur se dégagera dans son
style. Browning fut responsable également de la mort de son ami
Booth, un jeune acteur prometteur, dans un terrible accident de
voiture. Accident qui lui valut une année d'hospitalisation ainsi
que la perte totale de ses dents. Souvent alcoolique, Browning avait
des techniques bien précises de productivité, comme notamment
d'écrire le scénario de 18 h et 6 h du matin. Cela va sans dire que
ce point là ne fit pas toujours bon ménage avec les studios. Tod
Browning était également très jaloux de la concurrence. Il enviait
particulièrement d'Erich Von Stroheim qui avait plus de succès
critique, de talent et d'habileté avec des thèmes très similaires
aux siens : la noirceur humaine, le mal conditionné par la
cupidité.
Très inspiré par
l'œuvre et le style de Charles Dickens, Browning a beaucoup de
thèmes récurrents : l'abandon, la persécution, l'injustice, le
crime, la culpabilité, le travestissement, l'illusionnisme, le
châtiment, le déguisement, l'identité secrète et les fantasmes
enfantins rejoués en cauchemars d'adultes. Freaks est donc un
film fortement marqué par le style de Browning où beaucoup de ses
thèmes se retrouvent dedans. Hélas pour lui ce fut le premier glas
d'un réalisateur qui se croyait trop indépendant à Hollywood et
bien trop avant gardiste.
Arrêt sur le film
:
En 1932 M le Maudit
de Fritz Lang et Freaks de Tod Browning deviendront des
chef-d'œuvres cinématographiques.
Beaucoup de choses sont
remarquables dans le film de
Browning outre les conditions du tournage et sa courte
histoire en salles. On peut toujours remarquer que c'est un des rares
et derniers films où l'on peut apercevoir un personnage féminin en
tête d'affiche. Effectivement le succès public du film culte King
Kong de Shoedsack et Cooper donna l'autorisation à Browning de
mettre une femme dans les personnages principaux. Cette dernière est
plus indépendante de l'homme, à forte personnalité et au bien plus
au centre de l'histoire qu'à l'acoutumé. A noter que public féminin
commençait un peu à intéresser Hollywood. Seulement après Freaks
et l'image choc de la femme que le film dénonce (alors que c'est de
même facture pour l'homme cela dit), elle sera rétrogradée en
personnage secondaire et/ou femme objet pendant des années. C'est
toujours d'actualité d'ailleurs mais c'est un autre débat.
Le début du cinéma
parlant naît en pleine crise économique aux États-Unis. La grande
mode de l'époque était alors le film d'horreur et le film
fantastique. Frankenstein ou Docteur Jekyll and Mr Hyde
sont alors souvent portés à l'ecran ou pas mal de fois détournés.
Doctor X de Michael Curtiz, L'île du docteur Moreau
d'Earle C Kenton, La chasse du compte Zaroff de Shoedsack et
Pichel ou encore The Mummy de Karl Freund furent des grands
succès public, et les studios voulaient assurer l'après Dracula.
Browning eu comme consigne avec les scénaristes de faire plus peur
que le précédent film avec la nouvelle choc de Tod Robbins.
Différents titres étaient alors proposés avant que ce ne soit
Freaks : Forbidden love, The Monster Show ou
Nature's genre.
Browning
a donc eu de la liberté de la part des studios ainsi que le génie,
ou le culot tout dépendra du point de vue, d'avoir imposé à la MGM
des vrais phénomènes de foire, pour n'avoir recourt a aucuns
trucages, ni grimages. Le recrutement s'est donc fait dans
tous les cirques des alentours durant quelques mois. Seulement
aucunes stars ne voulaient jouer avec ces
« freaks ». Une pétition à même été crée
pour ne pas partager les cantines et les parties publics avec ces
forains, dont seules les sœurs siamoises, qui avaient un show
renommé à New-York et un physique moins choquant, étaient
autorisées à fréquenter les acteurs de plus près. Il en fût de
même pour le tournage qui se déroulera très vite dans des studios
en aparté, loin des regards des gens. Après du retard et un budget
vite dépassé Browning a eu beaucoup de pression de la production en
plus du scandale que fait son tournage dans la profession. Le film
fut rapidement à la limite d'être stoppé. Browning décide donc de
tourner le tournage dans un secret total. Toutes les informations
étaient donc filtrées, absolument rien ne parvenaient aux oreilles
des producteurs de ce qu'il se filmait.
Une fois le tournage
terminé, le monteur refusait de faire son travail car les
personnages ne le touchait pas du tout. Browning monta donc le film
lui-même. Une fois finit, les avants premières furent désastreuses
au point que les spectateurs sortaient en vitesse, outré en plein
milieu de la projection. Le film a été donc été tronquées de
plusieurs scènes jugées trop dures, soit au final environ trente
minutes. Avec un tiers du film en moins ainsi que le rajout d'un
prologue moralisateur fait par les personnages du film, Freaks
fut quand même un échec absolu et vite enlevé des salles. La
critique la plus tendre de l'époque disait que le film « montrait
tout ce que le spectateur ne voulait pas voir au cinéma ». Le
public lui s'affirmait surtout dégouté. Le succès à l'étranger
ne fut pas meilleur: il a été même interdit trente ans en
Grande-Bretagne.
Dans les années
soixante, le Festival de Cannes ressort Freaks
des placards. Le film est salué et unanimement considéré
comme un chef-d'œuvre. Plus de trente ans après la sortie du film,
le spectateur est alors plus acclimaté, plus préparé à accueillir
et visionner le film de Tod Browning notamment suite aux horreurs de
la seconde guerre mondiales ainsi que celles (déjà) montrées à la
télévision.
Freaks fut une
grande source d'inspiration est une référence pour grands nombres
de cinéastes. On se souviendra entre autre de Fellini avec
Satyricon, Jodorowski avec El Topo ou bien sûr de
manière bien plus classique David Lynch avec Elephant man.
Freaks aura une influence chez Tim Burton pour la compassion avec la
monstruosité, les frères Farrelly avec le politiquement incorrect
sur l'infirmité et de manière bien plus imposante le questionnement
chair et organique présent dans la plupart des films du cinéaste
David Cronenberg.
Il est bon également de
faire remarquer également la série La caravane de l'étrange
créée par Daniel Knauf qui se rapproche beaucoup du film par son
univers du cirque. Une série de très bonne facture hélas stoppée
à la fin de la deuxième saison pour des raisons financières, à la
place des six prévus à l'origine.
Mon avis :
Il y a longtemps que je
devais voir ce classique du cinéma et je ne suis pas déçu. Le film
de Tod Browning mérite amplement son rang de chef-d'œuvre. Avec une
intrigue à la fois simple et captivante, Browning nous livre une
œuvre à la fois fascinante et dérangeante. Justement rapproché à
Elephant man de David Lynch, Freaks est un somptueux
drame sublimé par une simplicité de l'émotion que seul les
cinéastes du cinéma muets avaient l'indéniable savoir faire..
Toutes les polémiques du film à l'époque sont toujours d'actualité
en seulement un peu plus évolués. Un film aux thèmes universels
comme les grands classiques du cinéma, terriblement novateur à
l'époque et universel dans le fond.
Browning est un cinéaste
qui vient du muet et cela se voit. Son avant gardiste Freaks
rassemble les avantages du film muet par sa redoutable efficacité
visuelle car c'est Freaks est avant tout un film sur le
regard. Browning étant bonimenteur à ses débuts sait comment
marche le public. Le métier de bonimenteur et de cinéaste sont
d'ailleurs similaires. Le film joue là dessus en nous présentant un
bonimenteur racontant une histoire d'une magnifique trapéziste avant
d'enfin la voir transformée en poulet à la toute fin. Freaks
est un film finalement documentaire si on peut dire sur le milieu du
cirque. Le film est une histoire de bonimenteur où les « montres »
sont introduits (comme encore une fois Elephant Man) et
stimule l'imagination de l'auditeur et du spectateur ici pour arriver
sur le lever de rideau, le dénouement. Le fait qu'on suive cette
femme même mauvaise et de la découvrir ainsi à la fin empêche le
film de virer au fantastique grotesque. Le tour à fonctionné à
merveille. Le scénario du film est donc un fabuleux tour de
bonimenteur capable de nous faire avaler n'importe quoi. Sa mise en
scène fait aussi douter de la véracité de l'intrigue dès son
introduction, on entre très vite en oubliant cela et on se fait
embarquer proche de ces hommes à part.
Le cinéaste sait
parfaitement maîtriser les images et leur puissance. Beaucoup de
l'émotion passent par les plans avec un scénario simple et efficace
et d'une justesse magistrale. Sachant que c'est un des premiers films
parlants, il faut avouer que Freaks possède des dialogues
extrêmement crus en plus d'avoir une grand force visuelle. Tout
reste très moderne. Avec Fritz Lang et Charlie Chaplin, Browning est
un des rares cinéastes qui a su éviter le côté théâtral et
conjuguer la force visuelle de l'image avec celle du son à l'époque
de la transition au cinéma. Sa modernité est encore remarquable en
plus de l'ambition du film.
Le but du film étant de
faire encore plus peur que son précédent film, la
surprise (mauvaise à l'époque) de Freaks reste l'utilisation
de vrais phénomènes de foire mais surtout d'avoir de la compassion
pour ces derniers. Le cinéaste bien entendu ne dresse pas un tableau
péjoratif de ces hommes comme peut-être l'attendaient certainement
les studios et le public. Browning prime sur l'humanité des hommes
de foire exclus de la société montrés comme bien plus moraux bien
plus humains qu'un homme et une femme au physique normal mais cupide
et manipulateur. La morale du film est donc très violente. Ce tour
de théâtre exhibitionniste est un happy end pour le moins
terrifiant qui reste dans les esprits.
La version sortie en
salle est tout de même beaucoup tronquée de sa version originale.
Les scènes inédites rallongerait donc le film d'une demie heure
mais serait-il toujours si dérangeant et violent dans sa version
intégrale ? Serait-il également si simple, si virulent et efficace
? Peut-être est il suffisant dans ce format là. Contentons nous de
ce que nous avons et savourons cette magnifique petite heure de
bravoure universelle aussi dérangeante que touchante.
Freaks est un film
avant-gardiste qui heureusement depuis a été remit à l'honneur. Il
est regrettable que Tod Browning ait été victime de son ambition
et son culot. Des cinéastes lui doivent une certaine inspiration,
les futurs cinéastes doivent en prendre de la graine, les cinéphiles
eux se doivent de le voir et de le posséder.
La dévédéthèque
parfaite :
M le Maudit de
Fritz Lang, Le cirque de Charlie Chaplin, Elephant man
de David Lynch.
Note : 10/10
Sources :
Les anecdotes sur le film
sont extraites de l'analyse du film faite par Dick Tomasovic : De
l'exhibition à la monstration, du cinéma comme théâtre du corps.
L'auteur présente Freaks comme « le film du basculement
esthétique et narratif, forme de représentation mineure (art
forain) vers une autre devenue majeure (le cinéma), d'un processus
de monstration des corps (exhibition théatrale) à un autre (le
montage visuel) et d'un mode de confrontation à l'altérité
(l'étranger) à un autre (étrangeté). »
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