mercredi 15 août 2018

Il était une fois... Bong Joon-Ho

Pour cet article, je ne vais pas suivre la filmographie, mais plutôt vous raconter comment j'ai découvert ce cinéaste de film en film et ce qu'il représente à mes yeux de cinéphile. 

Mon premier souvenir de Bong Joon-Ho est avant tout, et comme pour pas mal de monde, le visionnage passionnant et passionné de Memories of Murder. Si le deuxième film du cinéaste est sorti en 2003, je me souviens l'avoir découvert trois années plus tard, en dvd, à la Jetée de Clermont Ferrand, un mercredi après midi où il n'y avait rien d’intéressant dans les salles obscures, et encore moins au niveau de la météo pour aller dehors. Ce film m'a marqué et je le revisionne toujours avec autant de plaisir, pensant toujours que c'est un grand classique du policier autant que Chinatown, Seven ou Zodiac Le silence des agneaux

C'est la première fois que j'appréciais aussi pleinement un cinéaste qui mixent les genres avec autant de facilités et de virtuosité. Chose que le cinéma coréen fait toujours très bien avec des cinéastes comme Kim Jee Woon, Park Chan Wook ou encore dernièrement Na Hong-Jin. Cependant quand on revisionne Memories of Murder il y a autre chose de plus qui se dégage, se décante. Quelque chose de plus profond que le simple exercice de Style. Quand j'ai appris que Bong Joon-Ho avait véritablement enquêté sur cette affaire irrésolue au point de presque en devenir complètement fou, je n'étais pas vraiment étonné. Dans ce film, il y a ce petit quelque chose de plus qui fait indéniablement la différence avec un polar plus calibré et aux ficelles plus marquées. On retrouve déjà les différents codes du cinéma européen et américain que maîtrise le cinéaste à la perfection dans une patte, une griffe bien à lui. C'est aussi pour cela que j'adore particulièrement ce cinéaste, il me parle plus que Myazaki ou que pas mal de films de Kitano, souvent plus ancré dans leur culture. J'avais découvert le cinéma que j'aimerai obtenir si un jour j'arrive à réaliser un film. La parfaite adéquation du cinéaste qui insuffle du cinéma d'auteur dans un exercice de style destiné au grand public. De la série B en exercice de style virtuose et politique. Après visionnage, je me rappelle avoir mis du temps, après quelques grands classiques archi connus, pour me faire oublier ce Memories of Murder

C'est alors que quelques mois après, toujours dans cette même année 2006, The Host est sorti en salles. Une promotion mensongère a vendu le film comme de la Science Fiction d'horreur à la Alien et a prématurément rompu le rapport entre le film et le (grand) public. Heureusement cela n'a pas empêché de le distribuer dans suffisamment de salles pour que j'aille le voir. Quand je suis ressorti de la salle, j'avais une nouvelle fois adoré bien entendu, je me suis fait la réflexion que Bong Joon-Ho était le cinéaste que j'attendais depuis si longtemps. Celui qui me donnait une lumière dans ce que je voulais obtenir à l'écriture comme en terme de rendu dans la mise en scène. Depuis c'est un peu comme si j'attendais un film de Ridley Scott et des frères Coen à la fois, un cinéaste dont j'attend la sortie de son prochain film autant qu'un Scorsese ou quelques années plus tard un Jeff Nichols. Bong Joon-Ho tient une place immense dans mes goûts cinématographiques et même sur mes influences dans mes scénariis. 

Avec The Host, le cinéaste signe un exercice de style monstrueux et mutant dans tous les sens du terme. La manipulation des émotions, de l'action, de l'histoire, de la politique, du social à la fois dans un registre drôle et grave. Un véritable pot pourri une nouvelle fois faussement classique. Car oui chez Bong Joon Ho, si l'on peut résumer son travail, c'est bien un classicisme à retors ou contrairement à chez Tarantino ce n'est pas référencé et pédant. Tout est au service de l'histoire, faussement conventionnel, pour offrir du cinéma humaniste et cynique à la fois, comme le ferait un Lumet en Corée. En France, seul Jacques Audiard peut être comparé dans cette catégorie de cinéaste à la fois très classique et soigné dans l'apparence, mais terriblement travaillé et subversif dans le fond le tout sans faire un film d'auteur chiant. Avec une démarche très seventies mais avec des effets spéciaux maîtrisés entre Steven Spielberg et Sam Raimi,  The Host est un excellent film où l'on ne peut que redemander une démarche comme celle là plus souvent. Un mixe assez génial entre la bande dessinée et le film commercial avec surtout avec du fond et de la critique. 

Son court métrage dans Tokyo est une bonne petite friandise qui s'avérait idéale pour attendre son prochain film : Mother sorti trois ans plus tard. J'ai eu la chance de découvrir ce film à Cannes et le cinéaste a eu la malchance de passer non seulement pas en Compétition Officielle mais en dernier dans la catégorie Un certain Regard quand tout le monde dormait après des heures de projection de mauvais films. On est peut-être là dans le le plus beau film du cinéaste mais aussi le plus sensible à l'heure actuelle. De l'humour noir, du thriller, du social et peut-être l'une des prestations d'actrices les plus éblouissantes de la décennie (Kim Hye-Ja). Mother méritait sans conteste de concourir pour la Palme d'Or, et le cinéaste la méritait. En tout cas moi je lui ai donné directement. Ce film est l'apothéose tout en subtilité, en douceur du style du cinéaste. Sous sa simplicité se cache un portrait de femme et un pays au passé trouble avec une finesse absolue dans l'écriture, la photographie, le montage et la direction d'acteur. Je suis même allé le revoir en salles à sa sortie. Dommage qu'il ait été si mal distribué et finalement même des années après si peu reconnu. 

Les années passent,  Park Chan Wook part à Hollywood réaliser Stoker, Kim Jee-Woon, Le dernier Rempart et Bong Joon-Ho refuse de suivre ses collègues pour une production européenne pour adapter à sa sauce la BD du Transperceneige. Quand Snowpiercer sort en salle, c'est à nouveau la bonne grosse claque que je reçois en pleine poire. On est à nouveau dans l'apothéose du style Bong Joon Ho mais cette fois de manière beaucoup plus radicale et excentrique. Le cinéaste prend le Captain América (Chris Evans) le met en héros tourmenté dans un train qui tourne en rond. Il en profite pour faire une leçon de mise en scène à tous les blockbusters qui sortent et avec évidemment un message plus que jamais d'actualité : le réchauffement climatique et les classes moyennes qui disparaissent au profit des multinationales. Tout est brillant dans ce Transperceneige, n'en déplaise à ses détracteurs qui n'ont certainement vu que le squelette de la démarche principale. Dommage pour eux car ce film est aussi bon, virtuose et percutant que le Spartacus de Stanley Kubrick à son époque. Par la même occasion le cinéaste m'a aussi donné un sacré bol d'air frais à aller revoir des films en salles. Il n'y a qu'a voir la scène de la torche pour s'en convaincre. Puis non quand j'y pense en fait chaque wagon possède son lot de surprises et vaut le détour en salles. 

C'est alors que j'arrive à trouver Barking Dog, son tout premier film. Encore très scolaire, on retrouve par grandes touches irrégulières cet humour noir baigné dans du social, un peu en vrac certes, mais qui s'affinera magistralement par la suite pour devenir si particulier. Un premier film imparfait mais essentiel pour se débarrasser des premiers tocs et tics de mise en scène. Idéal pour passer à la perfection Memories of Murder. On peut dire exactement la même chose d'un cinéaste comme David Fincher passant de sa commande d'Alien 3 honorable à Seven, un deuxième film magistral. On passe d'un film avec des qualités à un véritable coup de maître. Fincher et Bong Joon-Ho ont le point commun d'avoir réalisé deux films de même envergure et qui se complètent sans le vouloir : Memories of Murder donc et Zodiac. Deux grands films sur des enquêtes vraies irrésolues et qui de différentes manières parlent d'Histoire de leur pays mais aussi du temps qui passe et qui s'égraine. 

C'est alors que débarque quelques années plus tard Okja suivit de son (inutile) polémique. Evidemment sans l'avoir vu je suis content que Bong Joon Ho soit sélectionné cette fois en Compétition Officielle à Cannes. Cependant un film est un film et un téléfilm un téléfilm. C'est très rare quand les frontières s'inter changent (12 hommes en Colère, Duel, Ma vie avec Liberace par exemple) et Okja est du début à la fin calibré pour le petit écran. On retrouve l'audace et le message social de The Host en plus "Netflix", c'est à dire pour le petit écran et rien d'autre. Il ne faut pas chercher plus loin. Ce serait comme critiquer la série de Spielberg Histoires Fantastiques des années 80 en disant qu'il faut les mettre en compétition car ce sont des réalisateurs prestigieux qui réalisaient les épisodes. C'est non car les réalisateurs prenaient la démarche artistique et la considération que ces produits étaient fait pour la télé. Et ce n'est pas du cinéma. Voici une polémique vaine et sans intérêt car tout, de la mise en scène au scénario comme au message universel dans Okja laisse supposer que c'est pour Netflix et rien d'autre. J'ai retrouvé dans Okja un produit un peu trop hybride mais une facture honorable du cinéma du cinéaste pour grand public américain avec des codes plus calibré qu'à son habitude. Le cinéaste parle du cinéma mondial actuellement en nous offrant une première partie entièrement libre et jouissive quand son histoire se passe en Corée et beaucoup plus bridé, capitaliste et cruelle quand il est aux Etats-Unis. Une fois encore, plusieurs lectures sont possibles mais c'est un Bong Joon-Ho mineur divertissant et intelligent à défaut d'être virtuose. 

Mais alors dans tout ça qu'est ce que c'est Bong Joon Ho ? 


Il est sans aucun doute le cinéaste le plus atypique de sa génération. Je parlais des frères Coen plus haut ainsi que de Ridley Scott car chez le cinéaste on retrouve toujours des personnages loufoques, pathétiques, burlesques et touchants avec un univers et une patte bien personnelle comme les réalisateurs de True Grit. Le tout toujours dans une exploration de plusieurs genres, que ce soit dans le spectaculaire comme dans le plus intimiste, comme peut le faire régulièrement Ridley Scott dans sa grande filmographie ou même Steven Spielberg. C'est assez époustouflant de voir que de film en film un cinéaste colle à la fois si bien à son époque et manie de manière si universelle, juste et intemporelle sa caméra, son regard sur le monde. Comme la plupart des cinéastes il y a des films mineurs et majeurs (très peu n'ont que des chefs d'oeuvre dans leur filmographie comme Sergio Léone) mais on peut remarquer que chez Bong Joon-Ho on est toujours dans l'exercice de Style et chaque fois, que ce soit magistral ou plus en deçà, c'est extrêmement personnel et unique. Aucun de ses films ne se ressemblent, il ne se caricature jamais (et pourtant il pourrait facilement) et surtout chacun sont uniques ce qui en fait un cinéaste de grande qualité et incontournable pour moi.

En permanence le cinéaste brasse les genres mais ne se perd jamais en cours de route. Bong Joon-Ho garde un fil conducteur très sérieux dans un registre bien précis et se permet tout ce qu'il veut autour. Et ça fonctionne. Jamais il se permet d'être larmoyant et il est sans cesse dans la réappropriation de l'actualité et de l'émotion. Le meilleur exemple en image est cette scène hallucinante du Premier de l'an qui interrompt la bataille dans Le Transperceneige. Chez le cinéaste l'Être humain en prend pour son grade chaque fois mais paradoxalement ce cinéma est très humaniste et il se distille toujours une forme d'espoir sous jascente dans l'ensemble de la noirceur, des propos qu'il dépeint. 

Le transperceneige est peut-être le plus emblématique de ses films pour comprendre facilement le style du cinéaste. Un train avec un registre, un genre, une étape, un sentiment ,une humeur, un vice de l'Être humain et de la société par wagon. Un peu comme les 7 Wagons Capitaux. Le cinéaste se fait un malin plaisir à mettre en scène un film humaniste et d'action dans un train qui ne s'arrête pas et qui tourne en rond autour de la Terre inhabitable. Bong Joon-Ho revisite la Bible, le passage de l'Arche de Noé dans Le Transperceneige qui est un éventail ouvert et assumé de son cinéma qui plaît ou déplaît. On peut aussi trouver cela dans Memories of Murder de manière bien plus dissoute. Le mélange de thriller, de comédie, de film social mais aussi de documentaire et de film d'investigation dérange et fascine dans un shaker unique tout aussi vitriolé que Le Transperceneige

Je pourrais entrer plus loin dans les détails, mais le cinéma de Bong Joon-Ho est surtout à voir et à ressentir. Ses films sont des expériences à échanger entre cinéphiles. Je vous invite à voir l'ensemble de sa filmographie et venir en discuter. Car Bong Joon-Ho est un véritable peintre, il a une palette de couleurs, de sentiments, de cultures et de genres qui ne s'explique pas autre que de les ressentir par soi-même. Il y a une chose qui est indéniable, que l'on aime ou pas, il serait de très mauvaise foi de dire que Bong Joon-Ho est un mauvais. Au contraire, il est admirable car il va au bout et prêt à ne pas plier à l'argent pour exprimer ses idées. Un Spielberg d'auteur un peu. Comme chez les grands cinéastes, il divisera autant qu'il fascinera et c'est assurément pas Bong Joon-Ho qu'on cite régulièrement dans les premiers plus grands cinéastes. Et pourtant, une fois qu'on a mordu à l'hameçon, impossible d'en démordre. Parole de moi. 

Ses quatre films incontournables : 

Memories of Murder (2003) 
The Host (2006)
Mother (2009)
Snowpiercer (2013)

Si jamais ce majestueux cinéaste lit ces humbles lignes : 

Merci Bong Joon-Ho pour l'ensemble de ton oeuvre, parole de grand cinéphile !


Petit Bonus vidéo : 






3 commentaires:

Benjamin a dit…

Tu fais du Transperceneige le plus emblématiques de ses films, mais ce n'est certainement pas son plus personnel. Premier film aux États-Unis et première commande j'imagine. Tu me corriges si je dis une bêtise mais a-t-il seulement eu droit de regard sur le scénario ?

Je n'ai pas beaucoup aimé ce film, trop linéaire à mon goût, avec des personnages sans finesse, dans l'outrance, et sans surprise de mise en scène. Probablement me faudrait-il le revoir, mais je l'avais trouvé pénible à voir.

En revanche je te rejoins sur Memories of murder, très grand polar, et sur The host. Je trouve pour l'instant le réalisateur bien meilleur quand il nous parle de la Corée.

goodfeles a dit…

Alors oui il a eu un regard sur le scénario car c'est lui qui a adapté lui même la bande dessinée. Il a même contourné la production américaine pour faire ce qu'il veut (il a des fonds de plusieurs pays différents et tourné dans les studios à Prague). Quand je dis que ce film est le plus emblématique du cinéaste c'est surtout pour le côté "train fantôme", on est dans un pur exercice de style dans le transperceneige, on change de style dans chaque wagon. Dans ses autres films l'exercice est plus subtil comme dans Mother et Memories of murder ou tous les registres sont cousus mains de manière originale et virtuose.

Le Transperceige est plus radical et je l'aime car il est audacieux à bien des égards. Je comprend qu'il divise, mais il est loin d'être commercial. Il ressemble a une BD excentrique comme a pu l'être les vieux Tim Burton à l'époque.

Au plaisir de discuter cinéma :)

Benjamin a dit…

Je comprends ton engouement. Merci pour les infos !