Réalisation : Bertrand Bonello.
Scénario : Thomas Bidegain et
Bertrand Bonello.
Durée : 2h30
Interprétation : Gaspard
Ulliel, Jeremy Rénier, Louis Garrel...
Genre : Biopic décompléxé.
Synopsis :
1967 – 1976. La rencontre de l'un des
plus grands couturiers de tous les temps avec une décennie libre.
Aucun des deux n'en ressortira intact.
Il n'y a que le nom de commun avec le
film de Jalil Lespert sorti en début d'année et celui-çi de
Bertrand Bonello. Cette version non officielle est un donc biopic un
peu brouillon dans le fond avec son scénario qui s'étiole un peu
dans tous les sens pour se concentrer sur ce qu'il y a de plus intéressant: le regard d'un artiste sur son oeuvre. Le film de
Bonello se penche sur l'addiction, les sentiments et la passion, le
métier du grand couturier dans une certaine période de la vie du
personnage. Un film très seventies, très sixties, très
psychédélique et viscéral. Pas de thriller, pas de grandiloquence,
pas de conventionnalités au rendez-vous et je l'avoue que c'est de
loin la plus grande force de cette excellente surprise. Une vraie bouffée d'air cinématographique. Bien loin de
toutes les productions contemporaines, surtout en France, Saint
Laurent est au même titre que La Grande Belezza de Paolo Sorrentino
sorti l'an dernier : un exercice de style éblouissant, un film
purement cinématographique.
Oui Saint Laurent est un excellent film
mais on se demanderait bien pourquoi on a aimé car il ne se passe
rien, c'est très lent, c'est même rempli de longueurs pour au final
ne pas vraiment raconter grand chose. Un peu comme un film à
l'italienne, le fond est souvent un peu éparpillé mais très (trop)
intellectuel et référencé mais la forme est absolument
magnifique et envoûtante. Esthétiquement déjà, les décors et la photographie
sont sublimes. Cette dernière est à la fois précise, nette dans
les reconstitutions n'en fait pas trop dans le too much et garde une
beauté clinique merveilleuse. La mise en scène du cinéaste est
superbe également. Onctueuse, hypnotique, délicate, subtile et
d'une virtuosité qui ne vire jamais dans la complaisance ou la
démonstration, je découvre enfin un cinéaste français qui ne se
regarde pas filmer. Bonnelo est un cinéaste que je découvre donc
ici et signe une oeuvre sans vraiment de complexes, avec un certain
talent et un virtuose certain. C'est un vrai cinéaste, il ne pompe
pas, il réactualise ses grandes références et la ressort dans une
forme toute à fait imperceptible et inattendue. Le scénario
transforme le célèbre couturier dans la quête, la philosophie et
les motivations de l'artiste en général. La narration se met en pause parfois pour laisser place à des montées frivoles de mise en scène vraiment fascinantes. Le scénario est un support pour laisser place à une mise en scène prodigieuse, tout en finesse, surprise et introspective. Une véritable réflexion
sur les tourments, les remises en cause sur le travail tout au long
de la carrière du couturier pour le moins passionnante. Si ses histoires de
coeur et d'addiction, de drogues paraissent envahissantes, elles
sont tellement référencées (trop pour moi d'ailleurs, je suis loin
d'avoir tout compris et apprécié tous les clins d'oeil artistiques) et à
la fois dans l'esprit du personnage, du film, du montage que cela se
rend cohérent, enivrant, hypnotisant. Bonnello se retrouve dans un amalgame fascinant entre Visconti, Jim Jarmush et Stanley Kubrick.
Le film n'est pas parfait car il manque
un peu de vivacité et flotte par moment. Mais c'est autant son défaut qu'un
des ses différents charmes vous me direz pour ceux qui ont aimés.
Si cela paraît assez ennuyeux, Saint Laurent possède une âme
véritable. Ce film transpire le cinéma à travers un cinéaste qui
utilise musique, montage et image avec un talent monstrueux qui fait
penser aux allures très Kubrickiennes donc, mais aussi Arakiennes et
Polanskienne. On retrouve la lenteur, la virtuosité, la sensibilité
des grands films italiens de Visconti et de Fellini avec plaisir car
c'est de toute franchise, une alliance respectueuse et ingénieuse du
vieux cinéma et du moderne. Toutes ces grandes références sont
ponctuées par une mise en scène vraiment inventive, loin de tout
cliché même si comme je l'ai déjà souligné, c'est souvent un peu
trop sage. De petits pics d'humours jaillissent de temps à autres, la
retenue, la sensibilité en permanence dans l'interprétation tout
comme la mise en scène pour finir dans un dialogue entre le jeune et
le vieux YSL fascinant. Sur une narration circulaire majoritairement
de 1961 à 1976, le film explore le tableau de la nostalgie et celui
du succès et de la gloire pour les faire rencontrer merveilleusement
à la fin. Un biopic vertigineux, stupéfiant et hors norme.
Le problème dans tous les films
français vient souvent de l'interprétation. Alors que de manière
globale elle est impressionnante dans ce film, la grosse tâche du
casting et hélas la seule du film vient de Léa Seydoux ô combien
mauvaise et pathétique avec son surjeu permanent. Heureusement on ne
la voit pas beaucoup et qu'elle parle encore moins qu'on ne la voit.
Chacune des ses apparitions, chaque mots sortis de sa bouche fait
descendre le film de plusieurs étages sa qualité. C'est absolument
horrible, injuste que cette actrice soit la plus bankable et de loin
la plus mauvaise alors qu'autour on a des interprétations
particulièrement bluffantes. Je ne pensais pas le dire un jour mais
Louis Garrel est époustouflant, il m'a impressionné. Renier comme
toujours est à demie teinte, un coup juste un coup faux comme dans
son rôle de Cloclo. Le reste du casting est excellent avec un
travail d'interprétation remarquable. Mais c'est Gaspard Ulliel qui
livre une prestation incroyable. Le rôle de sa carrière sans aucun
doute, il est complètement mystique, en retenue mais aussi d'un
charisme candide et imperceptible formidable. Ulliel porte pas mal
aussi le film sur ses épaules, rendant le personnage mystérieux,
insaisissable, étrange et fascinant dans l'esprit du scénario et de
la mise en scène de Bonello. D'ailleurs le cinéaste cache de moins
en moins la ressemblance pas tout à fait exacte entre le vrai YSL et
Ulliel devant le tableau de Warhol sur la fin ce qui rend le film et
le fond encore plus énigmatique. Intrigant, le film devient encore
plus fascinant, cassant l'image, la ressemblance, l'artifice de plus
en plus que l'on avance dans le temps. Plus on avance dans le film,
plus le personnage se densifie, devient une légende qui met un peu
ses cartes à plat tel un personnage Viscontien. Ulliel explose donc littéralement tout en gardant son calme, son côté énigmatique et
devient un modèle magnétique fascinant à l'image du film de
Bonello.
Je serais presque tenté de dire que ce
film est un chef d'oeuvre mais quelques petits détails m'en retiennent pour
l'instant. Peut-être dans quelques années et après une rediffusion. Si Léa Seydoux y est pour beaucoup sur le contrepoids de
la balance (ça ne changera pas au fil du temps hélas) je serai également
curieux de savoir si le film est plus objectivement bon car on ne
voit que trop peu de cinéaste aussi intéressant doué et libre
dans la forme de nos jours. Bonello nous réalise un film à
l'ancienne digne d'un chef d'oeuvre italien donc, le tout en plus
moderne, moins ennuyeux et contrairement à la plupart des films qui
sortent : absolument pas anecdotique. Saint Laurent est un biopic
complètement décomplexé de tout ce que l'on a l'habitude de voir
dans le genre, il n'en porte lui aussi que quelques formes
traditionnelles. Je l'apprécie encore plus avec le recul mais aussi
le redoute tout autant car c'est justement parce que c'est un des
rares, un des seuls films qui soit comme cela, si loin de toute ces
écritures lourdes et calibrées que le film est si atypique et
inclassable. Attendons de voir ce que le temps nous diras mais pour
l'instant je dis un grand OUI à ce genre de production. Déçu vous
serez si vous vous attendez à l'écriture d'un biopic classique
comme le film de Lespert. Ce dernier qui est une version officielle
est très propre, classique et conventionnelle et très bien
interprété lui aussi par Pierre Niney et Guillaume Galienne. Ce
Saint Laurent en garde la simple silhouette du célèbre génie de
la mode, sa voix très atypique et reconnaissable, pour le reste
c'est un peu comme l'art et le talent du personnage : indescriptible
et inné. Deux mots qui décrivent parfaitement cet ovni à découvrir
absolument.
Note : 9 /10
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