Il y a déjà dix ans, comme beaucoup de gens, je découvrais Whiplash. La claque. Le jeune cinéaste Damien Chazelle confirme trois ans après son talent avec le virtuose et raffiné Lalaland. Puis avec First Man il signe un biopic plus hollywoodien mais pas moins intéressant, insufflant une froide pudeur musicale dans une émotion plus conventionnelle.
Pour son quatrième film, Chazelle se penche sur un projet qui restera globalement mystérieux jusqu'aux avants premières. Un bien pour un mal car le Covid est passé par là. Tout comme pour le remake de West Side Story pour une pointure telle que Steven Spielberg, ce sera fatal. Surtout aux Etats-Unis. Pour Chazelle ce sera donc Babylon, dans tous les sens du terme.
Que ce soit par sa forme, son fond, ses messages explicites, implicites, les dialogues, les scènes, les anachronismes et la modernité de traiter toutes ces années folles, Damien Chazelle se niche quelque part entre Baz Lhurman et Paul Thomas Anderson. Il filme et dé-filme comme si c'était son dernier film, avec un souffle, un amour illimité pour le cinéma, le son et la musique. Mais avant de placer les lauriers sur la tête de Chazelle, il faut mettre absolument sur le même piédestal le génial Justin Hurwitz avec qui le cinéaste collabore depuis ses débuts.
Comme Sergio Léone avec Ennio Morricone ou Steven Spielberg avec John Williams, Damien Chazelle doit autant ses réussites et son virtuose grâce au génie de Justin Hurwitz. Et la musique de Babylon est à l'image de la mise en scène, une revisite moderne de vieux classiques qui fera hérisser les cheveux aux puristes et historiens, quand ils ne sont pas chauves. Un coup de pied jubilatoire dans une fourmilière car le duo Hurwitz/ Chazelle utilise l'excessif pour performer et perforer une fresque dantesque qui ne rentre dans aucune case. Soit tout l'inverse des productions actuelles, formatées et ciblées.
Pourquoi Babylon est si bien ? Parce qu'il touchera autant le cinéphile que le plus grand public. Chazelle reprend les codes du cinéma classique pour les tordre et les rendre plus modernes, et sans effets à la mode. Parce qu'il parle du Cinéma d'aujourd'hui, comme celui du siècle dernier dans une période charnière et que l'on pense, tout naïvement, plus prude que la nôtre. La crise du Covid et la Grande Dépression, le changement de mode de filmer et celle de raconter les Histoires ou encore les financiers et la haute société et sa façon de gérer les vices de l'humanité.
Dans la lignée du Loup de Wall Street et de Once Upon a Time in Hollywood, on retrouve Brad Pitt et Margot Robbie, Babylon peut nous faire penser à une revisite baroque et vulgaire du film de studios. Chazelle fait le rapprochement du Cinéma indépendant grand budget et celui du cinéma formaté de Super Heros avec les stars du muet et les technologies du parlant qui changent. Proche de Fellini, Chazelle met une claque aller et retour pour tirer le portrait de l'état du cinéma puis des Etats-Unis aujourd'hui. Tout cela en total contre pied de Lalaland : une non carte postale de Los Angeles.
Mais avec toujours autant de nostalgie et de mélancolie, Chazelle s'inscrit avec Spielberg, Scorsese, Tarantino ou le marginal Paul Thomas Anderson comme un des derniers artistes d'un cinéma qui propose encore autant de flammes, de désir, d'amour que de colère intérieure. Audacieux, Chazelle ne se répète toujours pas, ce qui en fait assurément l'un des plus grands cinéastes actuels.
Babylon est sans aucun doute un des films phares de cette décennie 2020. Peut être même le plus iconique.