jeudi 9 février 2017

Silence



Il aura fallu trente ans pour que le cinéaste porte à l'écran cette adaptation du roman de Shukasu Endo. Silence clôt donc cette trilogie scorsesienne sur la religion et la foi et est sans doute la version la plus aboutie et magistrale de La dernière tentation du Christ et de Kundun. Je ne suis jamais très objectif quand je parle de ce cinéaste mais  je considère d'emblée que Silence est un pur chef d'oeuvre (de plus) du cinéaste. 

C'est un des films du cinéaste qui sera le moins accessible pour le grand public malgré les messages universels qu'il dégage. Ces derniers sont essentiels et forts surtout dans une période aussi délicate que la nôtre. Le cinéaste ne s'estimait assez mûr pour réaliser ce film et ne trouvait pas une fin cinématographique pendant des années. Après une fructueuse collaboration avec DiCaprio, c'était le bon moment de signer son oeuvre la plus ambitieuse, la plus personnelle, âpre, renversante de sa carrière. 

Deux heures quarante qui passent en un éclair, avec des plans lents et magnifiques, un travail du son démentiel avec seulement quelques notes de musiques de temps à autre. Le cinéaste avec une très grande sensibilité trouve un équilibre parfait tout le long pour garder une distance entre le sujet, le propos sans jamais bien entendu entrer dans la démonstration. Le premier plan s'ouvre sur un hommage à Kurosawa pour ensuite imposer sa version, son style et ses messages qui poussent constamment à la réflexion. Tous les thèmes de la foi et de la croyance sont remis en cause, ainsi que de nombreux thèmes récurrents au cinéaste comme la rédemption, le choix du bien du mal ou le choix d'une religion. De manière très subtile et violente, ce chef d'oeuvre m'a renversé, sidéré, remué comme si le cinéaste faisait l'oeuvre testament de toute sa filmographie. 

Sans vouloir trop m'étaler, ce film est une splendeur à tous les étages. Un chef d'oeuvre a revoir plusieurs fois pour en tirer un maximum de messages. Andrew Garfield est dans son meilleur rôle et le reste de l'interprétation est brillante également, on avait pas vu Liam Neeson jouer depuis longtemps. Le grand tour de force du film est d'avoir aussi dans un contexte historique si particulier et précis un message si universel. Ce sont les chrétiens qui sont persécutés mais n'importe quelle pensée peut être à la place de cette religion, tout fonctionne. Non ce n'est pas un film sur le christianisme, c'est un film à la portée universelle pour tous ceux qui veulent réfléchir. Le tout est filmé par un cinéaste au sommet de son talent et de sa maturité. Il a cette fois des moyens et toute son expérience pour aborder ces sujets si délicats en toute accalmie et grande sobriété.  Au final c'est une énième leçon de cinéma et le rapport à la spiritualité, profonde et sensible. 

Silence est un condensé du cinéma de Martin Scorsese transposé en oeuvre d'art. Forcément quand on aime et connaît bien la filmographie du cinéaste on ne peut rester insensible car c'est son oeuvre la plus personnelle, réflexive et importante pour lui. Tout le long on ressent l'amour, le respect, l'obsession et l’intérêt qu'il porte pour cette histoire et ces thèmes si obsessionnels dans sa vie. A contre sens de tous les films qui sortent aujourd'hui, Silence est essentiel, exceptionnel, remarquable et important. Il est à voir absolument en salles. 

Réalisation : Martin Scorsese
Scénario : Jay Cocks et Martin Scorsese
Durée : 2 h 40
Interprétation : Andrew Garfield, Adam Driver, Liam Neeson, Yosuke Kubozuka, Yoshi Oida, Tadanobu Asano...

mercredi 8 février 2017

Un jour dans la vie de Billy Lynn ( Billy Lynn's Long Halftime Walk )





Tourné en 4K et 3D avec 120 images par secondes, il est impossible aujourd'hui de profiter de ce film en salles comme l'aurait voulu le cinéaste. Malheureusement pour beaucoup de spectateurs aussi car ce non équipement des salles est une (fausse) excuse pour ne pas le distribuer. Ang Lee a réalisé un film aussi simple qu'impressionnant sur une journée d'un héros américain revenu d'Irak. 

Avec une mise en scène plus radicale que d'habitude, Ang Lee oscille de manière virtuose entre la finesse, qu'on lui connaît et qu'on peut retrouver dans Ice Storm et le côté subversif et critique acerbe des Etats-Unis, proche de celle de Paul Verhoeven. Avec une belle troupe de jeunes acteurs aux côtés d'archétypes américains tel Vin Diesel, Steve Martin ou Chris Tucker le cinéaste montre toute l'artificialité du héros et l'image de la Guerre aux Etats-Unis. Un peu comme si MASH de Robert Altman s'implantait dans le cinéma d'aujourd'hui, Une journée dans la vie de Billy Lynn est un étalage d'humour sur pas mal de niveau aussi jouissif qu'il met autant mal à l'aise. Certains pics sont délicieusement cynique. L’Amérique est imagée par cette pompom girl, superficielle, allumeuse (qui joue mal en plus) et sans aucune émotion uniquement attirée et qui ne veut qu'un héros à ses côtés. Rien que ce contraste est sidérant et génial d'intelligence. 

Avec le personnage de la soeur, interprétée avec sagesse par Kristen Stewart, beaucoup plus en retrait et avec un regard omniscient par rapport aux autres  Ang Lee de par sa mise en scène donne beaucoup d’intérêt à un scénario un peu irrégulier et un peu long. A l'image du casting, on tombe sur de très belles choses et d'autres plus banales. Tout n'est pas forcement fort et essentiel, je dirais même un peu trop allongé de manière générale. Seulement le cinéaste se fait tellement plaisir que c'est assez communicatif pour rendre l'ensemble honorable. Sans la conviction et le talent d'Ang Lee, ce serait un film bavard avec de bonnes intentions. Malgré ces quelques défauts, je recommande ce film qui ne méritait pas un tel sort.

Réalisation : Ang Lee
Scénario : Jean-Christophe Castelli
Durée : 1 h 50
Interprétation : Joe Alwyn, Garrett Hedlund, Kristen Stewart, Chris Tucker, Steve Martin, Vin Diesel, Tim Blake Nelson... 

Jackie



Quelques semaines après Neruda, Pablo Larrain se penche cette fois sur le personnage de Jackie Kennedy. Le cinéaste se démarque une nouvelle fois des biopics classiques avec un style entre le documentaire et les multiples personnalités de Jackie sous le choc après l'assassinat de son mari. Porté par de grands acteurs, Natalie Portman comme d'habitude est parfaite, ce film me laisse plutôt perplexe. 

Une semaine dans la vie de Jackie entre l'assassinat et les funérailles de son mari, le tout entremêlé de flash back et d'une image et d'une musique glaciale, on peut dire que l'on est loin des biopics que l'on a l'habitude de voir à Hollywood ces dernières années. Entre le traumatisme, la psychologie ambiguë d'être première grande dame du monde et ce portrait d'une femme aussi amoureuse que caractérielle, Pablo Larrain possède du beau matériel et une des meilleures actrices au monde pour rendre de l’intérêt à son sujet. Il y a de belles scènes et une froideur dans la mise en scène qui donne incontestablement de l'authenticité au film. Des moments sont brillants, très fin et d'une tension tout à fait remarquable seulement tout manque globalement d'enjeu et de charisme. 

Un peu comme si le cinéaste a trop vouloir se démarquer du classicisme en avait oublié de faire un film construit et fort. Je reste mitigé car je n'ai pas vraiment accroché au résultat. Je pense plus à un essai avec des fulgurances et une tentative louable ou tout repose par les acteurs. Peter Sarsgaard encore une fois est top et c'est aussi la dernière apparition à l'écran du grand John Hurt. J'ai beaucoup plus accroché à Neruda, autant du point de vue du scénario que de la mise en scène, cela malgré un sujet moins attractif que celui de Jackie

Voilà typiquement le genre de film dont on accroche ou pas, et que j'encourage tout de même à découvrir pour son originalité et son parti pris. Pour ma part je suis resté assez en dehors de tout cela, me donnant envie de revoir des films comme All That Jazz de Bob Fosse ou Portrait d'une enfant déchue de Jerry Schatzberg du même acabit mais que j'ai beaucoup plus apprécié. 

Réalisation et scénario : Pablo Larrain
Durée : 1 h 40 
Interprétation : Natalie Portman, Peter Sarsgaard, Greta Gerwig, John Hurt...