dimanche 7 juin 2015

Carrie au bal du diable ( Carrie )



Réalisation : Brian De Palma
Scénario : Lawrence D. Cohen
D'après le livre homonyme de Stephen King
Durée : 1 h 40
Interprétation : Sissy Spacek, Piper Laurie, Nancy Allen, John Travolta... 
Genre : Culte qui se bonifie

Synopsis :

Tourmentée par une mère névrosée et tyrannique, Carrie White n'a pas la vie rose. D'autant plus qu'elle est tête de turc des filles au collège. Elle ne fait que subir et ne peut rendre les coups jusqu'à ce qu'elle découvre qu'elle possède un étrange pouvoir surnaturel. 

S'attaquer à un film comme Carrie n'est pas simple. Cela peut-être très long comme court. Long pour tenter de mettre à plat l'extrême richesse psychologique et cinématographique du film, que des analyses plus ou moins passionnantes se chargent de nous nourrir un peu partout avec le temps. Court, le temps de visionner simplement le film et redécouvrir à chaque visionnage la maestria de Brian De Palma et la force formelle de sa mise en scène dans un film, ici dans toute sa splendeur. Aujourd'hui Carrie est un film toujours culte, un des plus grands et riches dans le genre horrifique mais aussi dans l'oeuvre de Brian De Palma. 

Pour l'anecdote, c'est Brian De Palma qui a lancé la carrière de Stephen King en adaptant son livre avec ce film. Stephen King ne peut pas lui enlever ce mérite bien que le scénario présente, comme d'autres des adaptations au cinéma par la suite, une version du livre à sa manière et différente. Le livre manipulait froidement, de manière implacable et forte les différents thèmes de l'adolescence. La violence, la découverte de soi ainsi que la place sociale et le fait d'avoir des pouvoirs fantastiques y sont entre autres développés. De Palma a su capter l'essence principale du roman pour la livrer de manière magistrale à l'écran, et particulièrement visuellement. De Palma hypnotise le spectateur avec son sens de l'image, de la musique et du montage qui est propre à son style. Il nous offre ensuite un ballet de sensations pour le moins exceptionnel et fait ensuite ce qu'il veut de son spectateur. Il nous manipule avec grande élégance en ajoutant progressivement les pièces de son puzzle du portrait psychologique de Carrie puis ensuite de la folie et de l'action avec la fameuse scène du bal. Dès premier plan, le cinéaste nous plonge en un mouvement de caméra dans la peau de Carrie. C'est ensuite suivi d'une scène de générique intrigante et fantastique qui nous fait définitivement entrer dans l'intimité de Carrie. Filmée comme un Climax le générique termine sur l'événement déclencheur (les premières règles) : peut-être un des plus habiles du cinéma. 

Carrie possède déjà ses pouvoirs et à son image ils sont discrets et restent énigmatique. Comme Carrie nous ne connaissons pas leurs forces et surtout leur utilisation, on cherche à les découvrir. Ils resteront peu dévoilés durant les deux tiers du film jusqu'à la fameuse scène du bal ou Brian De Palma sort lui aussi son pouvoir si cher : le Split Screen. En laissant en second plan les pouvoirs l’écriture crée un suspense de plus en plus bouillonnant pour exploser au moment de l'humiliation. Cette peur de l'inconnu et cette non maîtrise des pouvoirs que Carrie possède reste en toile de fond et grimpe comme la terreur avec un crescendo superbe. De Palma lui finit par étirer sa scène de bal folle et violente vers une formidable scène de terreur familiale et l'éducation. Tout le travail des plan de la mise en scène sont d'une formidable inventivité. De Palma est ici dans son style qui flirte entre le Giallo de Dario Argento, la série B horrifique et bien sûr la forme d'un film fantastique à la Hammer. 

De Palma mène la danse et nous orchestre un véritable ballet où valse une palette remplie d'émotions cinématographiques. Du début à la fin le rire, la satyre, la tristesse, la compassion, la tension et l'étrange s'associent tour à tour avec une virtuosité absolue. L'interprétation magnétique des acteurs (Sissy Spacek et Piper Laurie sont absolument remarquables), les mouvements de caméra accompagnés d'une partition folle de Pino Donaggio sont d'une intelligence et d'une habileté magistrale. Le vocabulaire visuel si unique à De Palma est ici au diapason, comme l'on retrouve dans les meilleurs films du cinéaste. Le spectateur est effectivement plongé dans un opéra cinématographique sanglant maîtrisé et hypnotique comme l'on trouve chez des cinéastes comme Stanley Kubrick, Jim Jarmusch ou encore Sergio Leone. Lentement le film joue avec nos nerfs, fait monter et descendre la tension, ajoutant son grain de sel constamment sur le travail spacio temporel. La scène du bal est d'un étirement remarquable ou même quand ça passe à l'action, tout est savamment dosé et écrit. Le fond très riche et particulièrement touchant et surtout comment ne pas être touché par le personnage de Carrie ? 

De Palma ne fait rien de gratuit, ne copie pas, n'utilise aucune facilité et encore moins des cliché. Tous les personnages et l'action sont particulièrement travaillés et ne tombent jamais dans le ridicule. La musique superbe et son thème rendent immortel l'ensemble qui en fait à mon avis un classique car le film a de la force du début à la fin sur tous les domaines. Il ne retombe jamais. Enfin pour son quatrième film le cinéaste coupe le cordon aux grandes références hitchockiennes souvent trop explicite de ses trois précédents films. Carrie est avec Phantom of the Paradise un des premiers films du début de sa carrière qui ne reprenait pas vraiment des narrations de classiques d'Hitchcock. Sinon autre que cela que retenir de Carrie ? Avant tout un souffle typiquement représentatif de la nouvelle vague des années soixante dix. Alors que Carpenter signait Halloween, Polanski Rosemary's Baby, Friedkin L'exorciste, Spielberg Les Dents de la Mer le cinéma offrait une vision de l'horreur sous un autre jour et le film de De Palma en fait partie. La version De Palma reste une des plus suggestive et émotionnelle, la plus hypnotique dans sa forme visuelle mais aussi sans doute la plus psychologique avec le film Repulsion de Polanski sorti quelques années auparavant. 

Tout en étant très fidèle à l'esprit de Stephen King, De Palma insuffle de la simplicité au film d'horreur ainsi qu'une peur bien plus effrayante que le fantastique habituel : l'Être humain. Le scénario introduit et ajoute au compte goutte la folie, la violence, la paranoïa, la jalousie, la vengeance de manière gracieuse et forte. Le plus horrible dans cette histoire restent que vous le vouliez ou non me croire ces garces qui harcèlent Carrie. Même si Carrie dégénère et engendre un massacre d'une violence physique et psychologique totale, on ne peut qu'avoir quand même de la compassion et de l'appréhension pour Carrie. Perdue sur le plan social, familial et personnel, tous les tourments de l'adolescence remontent à la surface et rendent la violence, la démarche et le côté émotionnel à un paroxysme rarement obtenu au cinéma. Un peu comme Taxi Driver de Martin Scorsese à la même époque des émotions viscérales sur le mal ressortent et grouillent au fond de nous. Une vision de la violence, de la société et de l'Homme tout a fait approfondie et effrayante. 

La religion en prend pour son grade également avec une Piper Laurie qui reste dans les annales autant pour sa prestation que pour son personnage extrême. On retiendra également bien évidemment le charme envoûtant de Sissy Spacek qui avait donné tant de peps au premier chef d'oeuvre de Terrence Malick La balade sauvage et quelques années plus tard au grand film de Robert Altman Trois femmes. A noter une des première apparition de John Travolta et la première collaboration du cinéaste avec Nancy Allen. Le film a eu un problème de promotion que De Palma regrettera et le succès du film à l'époque aussi : film d'horreur d'Halloween. Toujours étiqueté comme cela, le film reste culte et reconnu simplement parce que c'est un bon film alors que ce n'est pas un Slasher. C'est une toute autre approche de l'horreur comme heureusement d'excellents cinéastes qui adapteront Stephen King nous offriront par la suite. 

Que l'on trouve le film trop simple ou pas assez développé par rapport au thème ou au livre de Stephen King je peux comprendre. Ne vous fiez pas qu'à une seule lecture. Comme tout grand film il se savoure de diffusion en rediffusionCarrie pour moi reste avant tout un film de mise en scène par excellence. En plus d'être la consécration du style Brian De Palma avec une atmosphère et une maîtrise unique il reste sans doute un des meilleurs  films sur l'adolescence. Un cinéaste qui utilise toutes les lettres de noblesses du cinéma ce n'est pas si courant et il frappera encore par la suite. Carrie est un des cinq meilleurs films de De Palma soit tout simplement un des meilleurs films du cinéma. 

Note : 10 / 10

La dévédéthèque parfaite

Christine de John Carpenter, Pulsions de Brian de Palma, Shining de Stanley Kubrick et Taxi Driver de Martin Scorsese. 

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