Réalisation
et scénario : Jeff Nichols
Durée :
2 h 05
Distribution :
Tye Sheridan, Matthew McConaughey, Jacob Lofland, Sam Shepard...
Genre :
Véritable voyage
Synopsis :
Ellis et Neckbone, 14 ans, découvrent lors d'une de leurs escapades
quotidiennes, un homme réfugié sur une île au milieu du
Mississippi. Mud. Une arme, un serpent tatoué sur le bras et une
chemise porte bonheur, Mud est un homme en cavale qui croit en
l'amour. Une croyance qu'Ellis a désespérément besoin de
croire pour tenter d'oublier les tensions familiales qu'il
subit. Ellis et son fidèle ami Neckbone vont tenter d'aider Mud
en remettant sur l'eau un bateau perché dans un arbre, après la
décrue d'une inondation.
Après
deux films remarqués et remarquables, Jeff Nichols signe avec Mud un
troisième film plus accessible qui ravira autant le cinéphile que
le spectateur en quête d'émotions et de sensations. Le
cinéaste signe ici un polar émouvant, pour le moins
bouleversant.
Toujours
scénariste de ses films, le cinéaste s'impose particulièrement
brillant dans ce domaine en signant avec Mud une
œuvre absolument fascinante de densité, de rythme et de maturité.
Effectivement, le scénario est pour ma part le vrai tour de force de
son dernier film. Contrairement à ses deux premiers films (dont les
scenarii étaient très bien aussi mais plus en retrait par rapport à
la mise en scène), on remarquera une grande homogénéité, une
totale symbiose entre la mise en scène et le scénario du début à
la fin. Tout est au premier plan.
Une
harmonie générale se fait ressentir dans les rebondissements du
film, la narration, le rythme, les sentiments ou les clefs données
aux spectateurs sur ses personnages. Illustré par un magnifique
montage et une mise en scène aussi précise que fluide, le rythme
fluvial du scénario est permanent, à l'instar du fleuve.
Le
spectateur est donc embarqué sur un radeau en plein Mississippi,
tantôt dans les rapides, tantôt dans le silence, accompagné par le
bruit reposant de l'eau tout le long. Agréablement documenté par le
scénario, le spectateur s'installe et séjourne très rapidement
dans l'univers du film, comme lors de la lecture d'un
livre. Un charme bien trop rare au cinéma il faut
avouer. Toujours comme dans un livre, le film va progressivement
puiser dans l'émotion au plus profond de l'âme du spectateur
grâce à des événements et des sentiments minutieusement amenés.
Les révélations (et non-révélations) sont dévoilées de manière
progressive, intelligente et avec beaucoup de sensibilité. Rien
n'est trop lourd, ni pompeux, ni cliché, ni niais, ni trop décalé,
ni même magnifié : tout est incroyablement dosé et d'une imparable
justesse. Comme un vrai chef d'orchestre, le cinéaste y va par
petites pincées et s'affirme comme un des cuisiniers les plus
raffinés du septième art.
Comme
les plus grands cinéastes indépendants tels James Gray, Jim
Jarmush, les frères Coen ou son modèle Terrence Malick, il n'y
a absolument rien de mécanique et de calculé dans le cinéma de
Jeff Nichols. Ce dernier transporte avant tout littéralement le
public dans son univers sans lui donner (ou peu) de véritable indice
sur ce qui suit. Illustré par un savoir faire technique classique et
virtuose, c'est comparable aux premiers films de Clint Eastwood. On
peut noter également que la musique est sobre, et n'influence donc
que très peu les émotions du spectateur. A l'heure des montages
sur-découpés, ici, rythme et suspense sont principalement emmenés
par le scénario. Un suspense à l'ancienne (semblable également à
celui d'Argo de Ben Affleck) mais mis en scène de façon
moderne. Mud est un film reposant qui associe
avec brio et élégance le cinéma ancien et le cinéma récent.
Fritz Lang aurait apprécié.
Avec
des acteurs une nouvelle fois merveilleusement dirigés, on peut
rajouter que le casting est parfait. Il donne un charme
supplémentaire à ce film. Les deux enfants jouent admirablement
bien : Tye Sheridan est un jeune prodige comme l'était River Phoenix
à l'époque. Son acolyte Jacob Lofland également. McConaughey joue
l'ambiguïté à souhait et devient aussi beau que touchant au fur et
à mesure que l'histoire avance. Witherspoon est parfaitement paumée,
le retour de Sam Shepard et la présence de Michael Shannon, l'acteur
fétiche du cinéaste, dans un petit rôle sympathique cette fois
font toujours plaisir. Un peu de dérision ne fait jamais de mal.
Avec Mud, Jeff
Nichols confirme qu'il est un des plus grands cinéastes, si ce n'est
le plus grand, de sa génération. Il nous offre un
grand moment de cinéma. C'est assurément un des plus beaux films de
ces dernières années. Sans doute le meilleur film de l'année 2013.
"C'est
la première fois que j’utilise la steadicam (…) je déteste la
caméra à l’épaule, l’image qui bouge dans tous les sens.
J’avais besoin que la caméra se déplace élégamment. Je voulais
réaliser un film qui semble plus facile à regarder : le Mississippi
coule à une vitesse de 5 km/h et est le plus sinueux au monde.
Lorsque l’on navigue dessus, on ne voit pas où l’on va." Jeff
Nichols.
Note : 9,5
/ 10