lundi 29 septembre 2014

Get On Up



Réalisation : Tate Taylor.
Scénario : Jez Butterworth et John Henry Butterworth.
Durée : 2h20
Interprétation : Chadwick Boseman, Nelsan Ellis, Dan Akroyd...
Genre : Téléfilm insipide.

Synopsis :

La vie de l'icône de la musique James Brown de son enfance aux débuts des années quatre vingt dix.

Le film de Tate Taylor commence et termine comme dans tous les biopics avec l'artiste torturé dans les coulisses, les couloirs d'un événement important de sa vie avec son passé, la nostalgie refaisant surface à chacun de ses pas. Ce serait limite caricatural mais non. Le scénario de Get On Up est un puzzle pour le moins laborieux qui ne prendra jamais forme et dont la seule qualité reste le changement de scénette chaque fois que le spectateur commence à cotoyer l'ennui. Si le film n'est donc pas ennuyeux à regarder il n'a aucun fond. Le tout est écrit et monté sur une forme brouillonne et racoleuse avec rien de bien passionnant à raconter. Si l'interprétation de Chadwick Boseman porte l'énergie des morceaux musicaux du film par son impressionnante force scénique similaire au vrai James Brown, il se retrouve un peu comme le film lui même : trop poussif, dans le too much permanent et absolument pas nuancé.

Toute cette narration brouillonne donne rapidement plus une impression de cache misère que d'honnêté artistique. A croire que la vie de James Brown n'était pas assez interressante au point de nous servir que des petites scénettes chronologiquement peu cohérentes entre elles, nous montrant plus le personnage antipathique que le portrait du jeune homme. Ce brouillon narratif empêche de comprendre et d'instaurer l'évolution du personnage et de sa psychologie. Ce sera un dommage collatéral car dans le dernier tiers du film où l'émotion, le drame s'installe et ne fonctionne absolument pas car il s'appuit sur du vide. Comme pour son précédent film La couleur des sentiments, le ton du film reste vraiment too much sur une psychologie fantôme et aseptisé et destiné pour les ménagères.

Si la bande son de James Brown reste le seul lot de consolation, on peut regretter une interprétation inégale autour d'un Chadwick Boseman braillant en permanence, le rendant pour le coup beaucoup trop caricatural et rapidement noyé dans un océan de clichés plus fades les uns que les autres. Tous les passages qui auraient pu être interressants ne sont absolument pas developpés. Je dirai même qu'ils sont abrégés et filmés à toute vitesse pour passer à la suite, comme si l'objectif était de mettre dans un blender toute la vie de James Brown. Le cocktail n'en ressort en aucun cas savoureux.

Effectivement, que ce soit la vie personnelle avec sa mère, ses femmes, son fils et le décès de ce dernier, la relation avec son ami proche, les débuts ou les événements importants comme la mort de Martin Luther King ou encore l'incarcération du chanteur : tout n'est un shaker sans queue ni tête dont on peine a trouver une saveur. On ne parlera même pas de ton et encore moins de style ou de regard d'un cinéaste dans ce biopic globalement plat et sans aucun interêt. Get On Up est véritable pot pourri de scènes inégales sans véritables sens et de liants entre elles. Le tout sans aucun point de vue intelligent et pertinent. Ce point de vue passe de l'omnicient avec des regards caméras qui n'apportent rien à externe sans aucune efficacité. Ce serai même de la facilité. Taylor filme le tout de manière banale et avec un savoir faire une nouvelle fois très classique. Fade et terne à côté de Taylor Hackford avec Ray dont on peut faire une comparaison, Tate Taylor confirme qu'il est un cinéaste à téléfilm M6 d'après midi.

On ne sauvera donc dans ce petit film que les scènes musicales. Pour le reste mieux vaut ressortir vynile et Best of ce sera toujours plus agréable pour les oreilles et vous aurez des chances de (re)découvrir de vraies perles. Revoyez si vous voulez le passage de l'église des Blues Brothers de John Landis avec le vrai James Brown, avec en plus Dan Akroyd. Ce film est à oublier et ne fera pas date, même le film de Darnell Martin directement sorti en DVD Cadillac Records reste de meilleure qualité.  

Note : 3/10

samedi 6 septembre 2014

Twin Peaks (intégrale)



Mon avis sur les saisons 1 et 2

Synopsis :

Un meurtre a été commis a Twin Peaks, une petite bourgade de l'État de Washington en apparence tranquille. La jeune Laura Palmer est retrouvée morte nue au bord d'un lac, enveloppée dans du plastique. L'agent spécial du FBI, Dale Cooper, envoyé sur place pour démasquer le coupable, mène l'enquête avec le soutien du shérif local, Harry Truman. Ces investigations les amènent à révéler au grand jour les sombres secrets des uns et des autres. Pendant ce temps d'inquiétants phénomènes se produisent...


Genre : Lynch sans lynchage.

Créée par Mark Frost et David Lynch, cette remarquable série est un must incontournable à savourer sans modérations. Aux premières allures d'un soap opéra des années quatre-vingt, Twin Peaks possède un merveilleux et unique scénario qui mêle le style Lynchéen, pas toujours très accessible, et celui de Frost, qui l'est beaucoup plus. Avec une intrigue palpitante ainsi qu'une galerie de personnages charismatiques, cette série ne laisse indifférente le spectateur pour son cachet unique. Une série justement culte.

Tout commence par un pilote d'une heure trente signé David Lynch à la réalisation. L'intrigue, les personnages de toute la petite bourgade de Twin Peaks sont présentés et posés avec légèreté et ambiguïté avec une grande élégance. Le spectateur tombe sous le charme de l'enquête, du mystère mais aussi l'inéluctable Dale Cooper, campé par Kyle MacLachlan. Avec beaucoup d'humour et d'humanité, ce genre de Sherlock Holmes moins arrogant et plus flegmatique est pour le moins attachant et identifiable aux yeux du public pour pénétrer dans l'univers de la ville étrange de Twin Peaks.

Le scénario dépeint une galerie de personnages qui ont tous des secrets plus ou moins cachés. Que ce soit dans leur passé, leur différentes tensions ou liaisons les uns avec les autres ou encore les trafics de drogue, d'argent,... le quotidien. Seulement à Twin Peaks, il se passe des phénomènes fantastiques. Les esprits de la forêt sont dans les croyances du bourg, un peu comme chez les indiens des Etats-Unis. Beaucoup de personnages sont assez étranges à leur manière, la femme à la bûche en tête de la liste. Le scénario nous met en bouche progressivement ces différents mystères. Ces derniers, paranormaux ou simplement policiers, sont dépeints sous une plume aussi légère qu'intriguante avec une totale maîtrise du suspense. Si l'intrigue est remplie de rebondissements, en ce qui concerne le suspect sur la mort de Laura Palmer, c'est toute la ville qui possède des détails étranges et qui font susciter le plus d'interrogations, le plus grand suspense du côté du téléspectateur.

Le scénario est remarquablement intrigant. Une mécanique merveilleusement équilibrée et orchestrée crée dans un univers à la fois étrange et réaliste, aidé par une bande son légère, mystérieuse et étrange. Le thème du compositeur attitré de Lynch, Angelo Badalamenti, illustre parfaitement le ton de la série, bien que quelques instrumentations font penser à du kitch des années quatre vingt. A l'aide d'un casting assez judicieux, on a droit autant à des personnages caricaturaux que de personnages atypiques et louches.

La première saison est un régal d'écriture, de suspense et d'initiation dans une vaste intrigue qui ouvre une multitude de pistes fascinantes, repoussant un peu plus les limites de la narration d 'épisode en épisode. Elle se termine sur un suspense intenable comme dans les grandes séries, ou rien est prévisible. On peut dire qu'il y a une différence entre les deux saisons. Alors que dans la première, Lynch était complètement impliquée dedans, la deuxième fut marqué par le désintéressement du réalisateur de Blue Velvet par l'obligation de révéler le coupable à la moitié de la deuxième saison par la production. Mark Frost et David Lynch ont donc suivis les instructions à contre cœur. Jusqu'à la révélation inattendue et génialissime, l'intrigue reste du calibre de la précédente saison : magistrale. Pour la suite, il a fallut offrir au public une autre intrigue pour tenir l'intérêt de la série jusqu'à la fin. Avant d'avoir un final quasiment cent pour cent Lynchéen, tous les épisodes sont majoritairement signés Mark Frost au scénario. L'intrigue est beaucoup moins dense et reste plus proche des personnages auquel le public s'est heureusement attaché. On dissocie bien plus largement le paranormal Lychéen et le côté léger et soft de Frost. Si tout se suit agréablement par une écriture plus qu'honorable, cette deuxième partie de la saison deux laisse un léger goût d'inachevé. On reste déçu par cette contrainte qui a en quelque sorte coupé l'herbe sous les pieds des créateurs.

Twin Peaks reste tout de même une excellente série car l'univers, les différentes intrigues ouvertes par le scénario sont tellement fascinantes, prenantes que le spectateur savoure chaque instant qu'on lui propose. Une série friandise devenue sepuis le temps une œuvre charnière qui a donné inspiration et naissance à nombreuses grandes séries actuelles notamment Desperate Housewives dans le plus connu, ou même la dernière anglaise Broadchurch. Twin Peaks réussi la prouesse à l'époque de démontrer, et cela plus de vingt ans avant notre ère, que la série peut-être d'aussi bonne facture que des grands films par un développement qui va encore plus loin sans jamais épuiser les ficelles. Les grands charmes de la série restent jusqu'à la fin, dont particulièrement de ne pas prendre son public pour un idiot.

Pour ma part cette grande série prouve qu'avec une simple intrigue on peut toujours repousser les limites, surprendre et fasciner. Lynch est un cinéaste il faut avouer à la fois capable de signer un film purement d'auteur (Mulholland drive) ou tout ce qui a de plus classique (Elephant Man). Frost a donné plus d'accessibilité au style de Lynch et inversement Lynch a donné toute ampleur fantastique au ton de Frost. Les deux auteurs ont fait un travail très complémentaire pour notre plus grand plaisir.

Si Twin Peaks est une savoureuse série, le film homonyme, uniquement signé par Lynch, est à mon goût trop Lynchéen. Twin Peaks : Fire walk with me vire plus à un exercice de style, un essai sensoriel axé plus sur l'étrange, le paranormal de la série que sur les personnages et l'intrigue de la série. Tout le film est un travail de montage assez impressionnant et très obscur, peut-être même plus que ses films les plus tortueux. Les fans purs et durs du cinéaste trouveront leur bonheur, les autres seront sans doute déçus et pourront sans problème se rabattre sur la série beaucoup plus homogène et moins anxiogène.

Dans tous les cas, Twin Peaks est une pièce maîtresse de la télévision, une série culte à voir absolument et à ne pas négliger actuellement en pleine explosion du domaine ces dernières années. Je peux vous assurer qu'elle est loin d'être has-been. Une référence sûre.







Mon avis sur la saison 3

Genre : Lynchage complet.


Fallait-il vraiment faire revivre la série mythique des années 90, vingt-cinq ans plus tard ? C'est la question que je me suis posée devant cette troisième saison qui m'a dérouté, déçu et très souvent agacé.

Après sa tentative de série ratée avec Mulholland Drive (qui sera finalement un film charnière du cinéaste), David Lynch tenait à tenir sa revanche artistique sur le petit écran. On peut dire qu'il se donne corps et âme pour affirmer sa liberté totale. Sa revanche est bien là avec cette saison où il est seul aux commandes. Seul oui car il n'y a pas l'once du classicisme (essentiel) qu'apportait Mark Frost à la série originale. Les deux auteurs s'étaient brouillés à l'époque, et je doute qu'ils ne se soient mieux entendus, tant tout est purement Lynchéen. Cette saison passe donc du côté de la Black Lodge

Si les défenseurs (et ils sont nombreux) diront que c'est une oeuvre d'art, je n'ai trouvé dans ce souk lynchéen qu'un délire pédant et tortueux de plus de dix-huit interminables heures. Chaque épisode ne cherche que constamment à aller à contre courant de toutes productions cinématographiques et séries télévisuelles actuelles. Comme souvent chez Lynch, il a le mérite d'être radical et c'est certainement ce qui est le plus remarquable dans cette saison mais aussi dans notre époque actuelle, de plus en plus balisée. Seulement le cinéaste est devenu une caricature de lui-même. Pire même, il est hautain, aigrit, et paradoxalement à ce que voudrait être cette série, complètement dépassé et démago. Parfois c'est au point de vraiment se foutre de la gueule du monde car il faut voir sa direction artistique, l'indécence des dialogues et de sa direction d'acteur minable (pour rester gentil). Formellement, il a eu les yeux plus gros que le ventre, le budget n'est jamais ajusté à la taille de ses ambitions. Résultat : c'est moche et souvent cheap. Sa suggestion était la force de ses chefs d'oeuvre et même le mystère de la série originale, il n'en a rien retenu.

Son dernier film Inland Empire était son film de trop car il refait ce qu'il a déjà fait auparavant en moche, chiant et prétentieux. Exactement comme cette saison 3, soit le délire de trop qui ne se renouvelle pas et n'offre que de la haine au système actuel avec un regard pour le moins méprisant. Voilà mon sentiment devant ce "truc" indigeste, et pourtant j'aime des films de Lynch. Je suis désappointé d'avoir eu a supporter si longtemps un délire qui démystifie l'univers et la série originale mais aussi un cinéaste que j'apprécie à la base beaucoup. Une immense déception pour l'exécution publique d'une série mythique et surtout de dix-huit heures que j'aurais préféré consacrer à autre chose que tout ce qui se passe par la tête de Lynch. Autant revoir le film Twin Peaks, de très loin bien plus intéressant cinématographiquement, plutôt que de suivre ce chemin de croix d'un cinéaste qui se prend avant tout pour Dieu. 


PS: Une récente ressortie en blu ray vaudrait l'investissement pour sa restauration, d'après les critiques. A voir donc.  

Kaboom





Réalisation et scénario : Gregg Araki.
Durée : 1 h 25
Distribution : Juno Temple, Thomas Dekker, Roxane Mesquida...
Genre : Apocalypse ? Yes.

Synopsis :

Smith s'installe dans un campus et commence à prendre ses aises. Mais lorsqu'il ingère des space cookies à une fête, il est persuadé avoir assisté au meurtre de la fille rousse qui hante ses rêves. En cherchant la vérité il va découvrir une machination bien plus profonde qui va changer sa vie, et celle de l'humanité.

Sans atteindre la grâce et la perfection de Mysterious Skin (difficile en même temps), Kaboom est un Teen movie complètement déjanté qui fonctionne avant tout par un coup de coeur du spectateur. Ce dernier risque d'être autant agacé qu'ennuyé qu'au contraire séduit et dans le trip. J'ai adhéré.

Tout en gardant les thèmes d'adolescents qui lui sont chers, Gregg Araki, auteur une nouvelle fois du scénario, lance le spectateur sur plusieurs intrigues sans pour autant le perdre. Avec une atmosphère oppressante, stressante et mystérieuse directement pompée de chez Lynch (référence assumée de Lost Highway et Twin Peaks par le cinéaste), le scénario joue avec les codes du Teen Movie, de la comédie et du thriller paranormal pour en signer un exercice de style réjouissant. Araki alterne avec habileté le premier et le second degré pour en faire ressortir un patchwork savoureux rythmé d'humour, de suspense et surtout de dérision. Un peu comme chez Baz Lurhmann mais avec plus de goût, tous les clichés sont tellement grossis à l'écran que rapidement le côté parodique et édulcoré est une évidence pour le spectateur dès le départ. Ce qui permet au cinéaste d'emmener son public où il le souhaite et surtout quand il le veut. Pour notre plus grand plaisir ce brassage virtuose des genres nous tient en haleine du début à la fin. Rempli de culot et de non attendu et sans pour autant jamais faire de la provocation gratuite, le scénario est un exercice de style brillant, autant ambigu que décontracté. Un trip cinématographique écrit de façon très équilibré qui fonctionne au poil qui fait de Kaboom un bordel réjouissant.

L'image, extrêmement léchée et constamment sur éclairée comme une pub, apporte un côté clip et pop assez hallucinatoire en contrepoint total à la noirceur de certains faits de l'intrigue. Un peu comme si Lost highway ou Donnie Darko étaient retournés avec l'équipe de la publicité de l'invisible de Dim. Écrit de cette manière on peut penser que ce serait digne d'un délire des Nuls, mais le cinéaste reste quand même même plus subtil car il mène un fabuleux et respectueux hommage au thriller Lynchéen en toile de fond. Même si dans le genre du cliché distorsion, il est parfois tout aussi vachard que la troupe d'Alain Chabat. Tout du long nous suivons un réalisateur qui a un sens de l'humour aussi aiguisé que délirant sur l'apocalypse, la fin du Monde. Sans doute l'ensemble sous emprise de drogue. Incorrigible, incorruptible et intraitable niveau montage, le réalisateur californien flirte avec le cinéma intelligent, provocateur et la série B pure. Un peu comme Tarantino avec toute sa culture cinématographique, Araki fait de même avec le cinéma de David Lynch, Richard Kelly, Alejandro Amenabar ou encore de Steven Soderbergh. Sans jamais entrer dans le piège des caricatures (et) de son scénario, le cinéaste nous emmène dans une originalité et un rythme effréné. Un pot pourri d'une heure vingt de cinéma d'auteur, indépendant, du thriller sérieux et de série B avec parfois une petite allure de bande dessinée. Le tout saupoudré d'un je m'en foutisme réjouissant qui atteint sa minute de gloire dans la dernière scène du film. Culte pour les amateurs.

Comment réceptionner Kaboom ? Je dirai comme un film indépendant sans règles, sans limites, avec de l'humour et une âme d'adolescent (drogué) toujours hanté sur la sexualité la fatalité et le sens de sa vie. Tout ces thèmes abordés auparavant chez le cinéaste sont esquissés ici de manière brève et plus grand public que Nowhere. Kaboom est tout simplement le genre de film dont rêve tout cinéaste : une carte blanche qui transpire un atypisme certain, de la provocation, en hommage à ses œuvres références et le tout avec un style bien personnel.

Le trip que Terry Gilliam n'avait pas réussi à tenir avec Las Vegas Parano malgré ses deux excellents acteurs, Araki le réussit ici sans prétention avec des jeunes acteurs en grande forme. Kaboom est donc un trip bien ficelé pour le veinard qui prend un plaisir communicatif avec le réalisateur de Mysterious skin. Puis un film avec un ton d'auteur et psychédélique du type des années soixante dix au cinéma est si rare de nos jours qu'il serai dommage de ne pas y jeter un coup d'œil. Pour le meilleur ou pour le pire, Kaboom est un film qui reste en tête, et c'est tout à son honneur.

Note : 9 /10

La dévédethèque parfaite

Lost Highway de David Lynch, Mysterious Skin de Gregg Araki, En Quatrième vitesse de Robert Aldrich et The Wicker Man de Robin Hardy. 

vendredi 5 septembre 2014

Freaks - La Monstrueuse Parade



Réalisation : Tod Browning
Scénario : Willis Goldbeck, Leon Gordon, Edgar A. Woolf et Al Boasberg
Adapté de Spurs nouvelle de Tod Robbins
Durée : 59 minutes
Distribution : Wallace Ford, Olga Boclanova, Leila Hyams...

Genre : Avant gardiste.

Synopsis :

Des êtres difformes, se produisant dans un cirque, poursuivent de leur vengeance une belle acrobate et de son complice qui ont abusés l'un des leurs. Quand les monstres ne sont pas ceux que l'on croit. Freaks est un classique du cinéma.

Arrêt sur Tod Browning :

Petite anecdote pour commencer : Tod est le prénom choisit par le cinéaste car il signifie « mort » en allemand. Son vrai prénom est Charles Albert Browning.

Avant d'entrer comme assistant réalisateur de D.W Griffith, Tod Browning était bonimenteur, rabatteur dans un cirque. Une fois dans le milieu du cinéma il est très prolifique et très bien vu des studios pour finir dans les temps, sans dépasser le budget ses films. Browning travaille beaucoup en triangle aux postes d'assistant réalisateur, scénariste et réalisateur. Le cinéaste trouve rapidement une notoriété avec la complicité de Lon Chaney, un grand acteur du cinéma muet qu'il a au passage révélé. Suite au décès de son acteur fétiche, Browning prendra Bela Lugosi pour interpréter Dracula en 1931.

Si le cinéaste haïra sa version définitive, l'adaptation du livre de Stoker fut un immense succès critique et public et lui donna une très grande popularité. Cela lui offrit donc la possibilité de tourner Freaks, un projet qui lui tenait à coeur. C'est en quelque sorte le premier film hollywoodien indépendant. A la suite d'un tournage maudit, Freaks fut un scandale général et coulera directement la réputation ainsi que la carrière du cinéaste. Boudé par le public et la presse, personne ne veut entendre parler de Browning. Ses films suivants sont des échecs commerciaux et les producteurs finissent par ne plus l'engager avec son étiquette de « Freaks ». A la fin de sa vie le cinéaste tentera d'écrire une adaptation du fabuleux livre They Shoot horses don't they ? D'Horace McCoy. Sidney Pollack lui dédiera sa majestueuse adaptation homonyme de 1969. Browning termine ses jours sans vouloir entendre parler de cinéma en 1962.

Comme pas mal d'artiste, Tod Browning était un homme très torturé. Jeune il fut témoin dans un hôtel de la banlieue de Chicago du suicide d'une mère de famille dans sa baignoire, après avoir tué ses deux enfants. Marqué par cette extrême violence, une noirceur se dégagera dans son style. Browning fut responsable également de la mort de son ami Booth, un jeune acteur prometteur, dans un terrible accident de voiture. Accident qui lui valut une année d'hospitalisation ainsi que la perte totale de ses dents. Souvent alcoolique, Browning avait des techniques bien précises de productivité, comme notamment d'écrire le scénario de 18 h et 6 h du matin. Cela va sans dire que ce point là ne fit pas toujours bon ménage avec les studios. Tod Browning était également très jaloux de la concurrence. Il enviait particulièrement d'Erich Von Stroheim qui avait plus de succès critique, de talent et d'habileté avec des thèmes très similaires aux siens : la noirceur humaine, le mal conditionné par la cupidité.

Très inspiré par l'œuvre et le style de Charles Dickens, Browning a beaucoup de thèmes récurrents : l'abandon, la persécution, l'injustice, le crime, la culpabilité, le travestissement, l'illusionnisme, le châtiment, le déguisement, l'identité secrète et les fantasmes enfantins rejoués en cauchemars d'adultes. Freaks est donc un film fortement marqué par le style de Browning où beaucoup de ses thèmes se retrouvent dedans. Hélas pour lui ce fut le premier glas d'un réalisateur qui se croyait trop indépendant à Hollywood et bien trop avant gardiste.

Arrêt sur le film :

En 1932 M le Maudit de Fritz Lang et Freaks de Tod Browning deviendront des chef-d'œuvres cinématographiques.

Beaucoup de choses sont remarquables dans le film de Browning outre les conditions du tournage et sa courte histoire en salles. On peut toujours remarquer que c'est un des rares et derniers films où l'on peut apercevoir un personnage féminin en tête d'affiche. Effectivement le succès public du film culte King Kong de Shoedsack et Cooper donna l'autorisation à Browning de mettre une femme dans les personnages principaux. Cette dernière est plus indépendante de l'homme, à forte personnalité et au bien plus au centre de l'histoire qu'à l'acoutumé. A noter que public féminin commençait un peu à intéresser Hollywood. Seulement après Freaks et l'image choc de la femme que le film dénonce (alors que c'est de même facture pour l'homme cela dit), elle sera rétrogradée en personnage secondaire et/ou femme objet pendant des années. C'est toujours d'actualité d'ailleurs mais c'est un autre débat.

Le début du cinéma parlant naît en pleine crise économique aux États-Unis. La grande mode de l'époque était alors le film d'horreur et le film fantastique. Frankenstein ou Docteur Jekyll and Mr Hyde sont alors souvent portés à l'ecran ou pas mal de fois détournés. Doctor X de Michael Curtiz, L'île du docteur Moreau d'Earle C Kenton, La chasse du compte Zaroff de Shoedsack et Pichel ou encore The Mummy de Karl Freund furent des grands succès public, et les studios voulaient assurer l'après Dracula. Browning eu comme consigne avec les scénaristes de faire plus peur que le précédent film avec la nouvelle choc de Tod Robbins. Différents titres étaient alors proposés avant que ce ne soit Freaks : Forbidden love, The Monster Show ou Nature's genre.

Browning a donc eu de la liberté de la part des studios ainsi que le génie, ou le culot tout dépendra du point de vue, d'avoir imposé à la MGM des vrais phénomènes de foire, pour n'avoir recourt a aucuns trucages, ni grimages. Le recrutement s'est donc fait dans tous les cirques des alentours durant quelques mois. Seulement aucunes stars ne voulaient jouer avec ces « freaks ». Une pétition à même été crée pour ne pas partager les cantines et les parties publics avec ces forains, dont seules les sœurs siamoises, qui avaient un show renommé à New-York et un physique moins choquant, étaient autorisées à fréquenter les acteurs de plus près. Il en fût de même pour le tournage qui se déroulera très vite dans des studios en aparté, loin des regards des gens. Après du retard et un budget vite dépassé Browning a eu beaucoup de pression de la production en plus du scandale que fait son tournage dans la profession. Le film fut rapidement à la limite d'être stoppé. Browning décide donc de tourner le tournage dans un secret total. Toutes les informations étaient donc filtrées, absolument rien ne parvenaient aux oreilles des producteurs de ce qu'il se filmait.

Une fois le tournage terminé, le monteur refusait de faire son travail car les personnages ne le touchait pas du tout. Browning monta donc le film lui-même. Une fois finit, les avants premières furent désastreuses au point que les spectateurs sortaient en vitesse, outré en plein milieu de la projection. Le film a été donc été tronquées de plusieurs scènes jugées trop dures, soit au final environ trente minutes. Avec un tiers du film en moins ainsi que le rajout d'un prologue moralisateur fait par les personnages du film, Freaks fut quand même un échec absolu et vite enlevé des salles. La critique la plus tendre de l'époque disait que le film « montrait tout ce que le spectateur ne voulait pas voir au cinéma ». Le public lui s'affirmait surtout dégouté. Le succès à l'étranger ne fut pas meilleur: il a été même interdit trente ans en Grande-Bretagne.

Dans les années soixante, le Festival de Cannes ressort Freaks des placards. Le film est salué et unanimement considéré comme un chef-d'œuvre. Plus de trente ans après la sortie du film, le spectateur est alors plus acclimaté, plus préparé à accueillir et visionner le film de Tod Browning notamment suite aux horreurs de la seconde guerre mondiales ainsi que celles (déjà) montrées à la télévision.

Freaks fut une grande source d'inspiration est une référence pour grands nombres de cinéastes. On se souviendra entre autre de Fellini avec Satyricon, Jodorowski avec El Topo ou bien sûr de manière bien plus classique David Lynch avec Elephant man. Freaks aura une influence chez Tim Burton pour la compassion avec la monstruosité, les frères Farrelly avec le politiquement incorrect sur l'infirmité et de manière bien plus imposante le questionnement chair et organique présent dans la plupart des films du cinéaste David Cronenberg.

Il est bon également de faire remarquer également la série La caravane de l'étrange créée par Daniel Knauf qui se rapproche beaucoup du film par son univers du cirque. Une série de très bonne facture hélas stoppée à la fin de la deuxième saison pour des raisons financières, à la place des six prévus à l'origine.

Mon avis :

Il y a longtemps que je devais voir ce classique du cinéma et je ne suis pas déçu. Le film de Tod Browning mérite amplement son rang de chef-d'œuvre. Avec une intrigue à la fois simple et captivante, Browning nous livre une œuvre à la fois fascinante et dérangeante. Justement rapproché à Elephant man de David Lynch, Freaks est un somptueux drame sublimé par une simplicité de l'émotion que seul les cinéastes du cinéma muets avaient l'indéniable savoir faire.. Toutes les polémiques du film à l'époque sont toujours d'actualité en seulement un peu plus évolués. Un film aux thèmes universels comme les grands classiques du cinéma, terriblement novateur à l'époque et universel dans le fond.

Browning est un cinéaste qui vient du muet et cela se voit. Son avant gardiste Freaks rassemble les avantages du film muet par sa redoutable efficacité visuelle car c'est Freaks est avant tout un film sur le regard. Browning étant bonimenteur à ses débuts sait comment marche le public. Le métier de bonimenteur et de cinéaste sont d'ailleurs similaires. Le film joue là dessus en nous présentant un bonimenteur racontant une histoire d'une magnifique trapéziste avant d'enfin la voir transformée en poulet à la toute fin. Freaks est un film finalement documentaire si on peut dire sur le milieu du cirque. Le film est une histoire de bonimenteur où les « montres » sont introduits (comme encore une fois Elephant Man) et stimule l'imagination de l'auditeur et du spectateur ici pour arriver sur le lever de rideau, le dénouement. Le fait qu'on suive cette femme même mauvaise et de la découvrir ainsi à la fin empêche le film de virer au fantastique grotesque. Le tour à fonctionné à merveille. Le scénario du film est donc un fabuleux tour de bonimenteur capable de nous faire avaler n'importe quoi. Sa mise en scène fait aussi douter de la véracité de l'intrigue dès son introduction, on entre très vite en oubliant cela et on se fait embarquer proche de ces hommes à part.

Le cinéaste sait parfaitement maîtriser les images et leur puissance. Beaucoup de l'émotion passent par les plans avec un scénario simple et efficace et d'une justesse magistrale. Sachant que c'est un des premiers films parlants, il faut avouer que Freaks possède des dialogues extrêmement crus en plus d'avoir une grand force visuelle. Tout reste très moderne. Avec Fritz Lang et Charlie Chaplin, Browning est un des rares cinéastes qui a su éviter le côté théâtral et conjuguer la force visuelle de l'image avec celle du son à l'époque de la transition au cinéma. Sa modernité est encore remarquable en plus de l'ambition du film.

Le but du film étant de faire encore plus peur que son précédent film, la surprise (mauvaise à l'époque) de Freaks reste l'utilisation de vrais phénomènes de foire mais surtout d'avoir de la compassion pour ces derniers. Le cinéaste bien entendu ne dresse pas un tableau péjoratif de ces hommes comme peut-être l'attendaient certainement les studios et le public. Browning prime sur l'humanité des hommes de foire exclus de la société montrés comme bien plus moraux bien plus humains qu'un homme et une femme au physique normal mais cupide et manipulateur. La morale du film est donc très violente. Ce tour de théâtre exhibitionniste est un happy end pour le moins terrifiant qui reste dans les esprits.

La version sortie en salle est tout de même beaucoup tronquée de sa version originale. Les scènes inédites rallongerait donc le film d'une demie heure mais serait-il toujours si dérangeant et violent dans sa version intégrale ? Serait-il également si simple, si virulent et efficace ? Peut-être est il suffisant dans ce format là. Contentons nous de ce que nous avons et savourons cette magnifique petite heure de bravoure universelle aussi dérangeante que touchante.

Freaks est un film avant-gardiste qui heureusement depuis a été remit à l'honneur. Il est regrettable que Tod Browning ait été victime de son ambition et son culot. Des cinéastes lui doivent une certaine inspiration, les futurs cinéastes doivent en prendre de la graine, les cinéphiles eux se doivent de le voir et de le posséder.


La dévédéthèque parfaite :

M le Maudit de Fritz Lang, Le cirque de Charlie Chaplin, Elephant man de David Lynch.

Note : 10/10

Sources :


Les anecdotes sur le film sont extraites de l'analyse du film faite par Dick Tomasovic : De l'exhibition à la monstration, du cinéma comme théâtre du corps. L'auteur présente Freaks comme « le film du basculement esthétique et narratif, forme de représentation mineure (art forain) vers une autre devenue majeure (le cinéma), d'un processus de monstration des corps (exhibition théatrale) à un autre (le montage visuel) et d'un mode de confrontation à l'altérité (l'étranger) à un autre (étrangeté). »

Inside Llewyn Davis





Réalisation et scénario : Joel et Ethan Coen
Durée : 1 h 45
Interprétation : Oscar Isaac, Carey Mulligan, Justin Timberlake...
Genre : Film festivalier 

Synopsis :

Une semaine dans la vie de Llewyn Davis un chanteur de folk dans l'univers de Greenwich Village en 1961. Dans ses mésaventures d'artistes et de maladroit, il ira jusqu'à auditionner pour Bud Grossman, un géant de la musique, avant de repartir d'où il vient.

Cela me fait un peu mal au cœur de le dire mais ce dernier film des Frères Coen est décevant. Je l'attendais trop ? Pas plus qu'un autre et j'ai appris à prendre du recul avec les films des frères Coen depuis ma déception sur Burn after Reading qui suivait de quelques mois No Country For Old men alors qu'au final c'est un délire plutôt sympathique. Deux années et demie ont passées après l'excellent True Grit, ainsi que des re visionnages fréquents de quelques uns de leurs films cultes et mineurs et Inside Llewyn Davis est bien décevant en plus d'être assez ennuyeux.

Bien sûr c'est du cinéma des Coen. C'est donc bien interprété et réalisé et avec une atmosphère et des intentions cohérentes. Rien de lourd ni de pompeux bien entendu à déplorer dans ce film au final bien trop festivalier. Même si le film est beaucoup moins captivant que les précédents films de leurs trilogie de l'homme seul (Barton Fink, The Barber et A serious man) on notera encore des références culturelles et intellectuelles qui raviront les critiques de cinéma et les gens qui ont la culture appropriée. Cela ressemble quand même beaucoup à A serious Man sauf que le ton vachard irrésistible fait plus l'effet de pétard mouillé ici.

Tous les films des frères Coen ont un loser, ici c'est donc Llewyn Davis un musicien dans les années soixante qui chante plutôt bien et au parcours de l'artiste dans sa tour d'Ivoire qui s'y colle. Comme dans A serious Man les Coen s'amusent à le torturer, à lui pourrir la vie en lui faisant accumuler de manière progressive tous les ennuis du monde. Seulement ici on remarquera avec un parcours initiatique et onirique un peu trop décousu. Oscar Isaac joue et chante très bien et si c'est tout à son honneur il ne sauve pas le film de l'ennui et du vide étonnant dont font preuve les Coen pour la première fois. Comme d'habitude une panoplie d'acteurs défile devant nous avec plus ou moins de plaisir. Timberlake et Murray Abrahams sont pour moi les plus régalant, Goodman moins percutant qu'à l'habitude par son rôle cru mais qui manque de développement. Mulligan n'est pas sensationnelle hormis le jeu des Coen sur elle de casser son image d'actrice gourde en lui faisant dire « Shit » à toutes les répliques le tout avec une teinture brune assez moche.

Le problème du film ne vient pas de son esthétique terne ni du ton ennuyeux qu'il se dégage du personnage car c'est cohérent un peu avec le genre de la folk. Le problème que j'ai particulièrement ressenti et celui d'avoir l'impression que les Coen font du Coen pour la première fois. Même si j'ai beaucoup de respect jusque là pour les deux frères car il y a toujours quelque chose d'intéressant, de novateur même dans leurs œuvres les plus mineures, ici on ne retrouve qu'un savoir faire lié avec quelques chansons folks. C'est un peu le côté délire personnel d'A serious Man avec la ligne musicale d'O'Brothers sauf que pas grand chose ne se dégage. Les Coen jouent encore avec le temps et son public. Pour preuve le voyage à Chicago est tellement long qu'on croit comme le personnage que Mulligan s'est déjà fait avorté à son retour comme le personnage principal.

Les deux frangins sont peut être trop intelligents, et font un humour cinématographique un peu plus à la Andy Kaufman qu'aux Coen habituels. Seulement hormis cela, c'est de l'ennui, un film décousu avec très peu de relief hormis une belle bande originale. Seulement les Coen sont aussi réputés d'avoir bon goût musicaux donc je considère que c'est du savoir faire aussi. 

Il suffit que cela ne deviennent pas une habitude car un faux pas arrive et ils sont, pour ma part, déjà pardonnés. Un faux pas après plus d'une quinzaine de films réussis rien d'alarmant pour autant.  

Note : 4/10

P.S : Le beau chat roux relou du film en référence au film de Robert Altman Le Privé est l'occasion ou jamais de revoir cette référence chère aux Frères Coen. Leur amour pour l'ecrivain Raymond Chandler et son influence se ressent très fortement dans leur style depuis le début de leur carrière, particulièrement dans The Big Lebowski. Un détour culturel qui vaut le coup d'oeil.