samedi 28 décembre 2013

Le loup de Wall Street (The Wolf of Wall Street)





Réalisation : Martin Scorsese
Scénario : Terrence Winter
Durée : 3 heures
Distribution : Leonardo DiCaprio, Jonah Hill, Jean Dujardin...
Genre : Wall (S)trip

Synopsis : Ascension et chute de Jordan Belfort courtier à Wall Street qui vit dans la débauche et l’excès. Trop n'est jamais assez.


Comme chaque film de Martin Scorsese, Le loup de Wall Street est un événement attendu par beaucoup de passionnés de cinéma. Moi-même fan du cinéaste, j'étais impatient découvrir ce cadeau de Noël dans les salles, un peu comme il y a deux ans pour le féérique Hugo Cabret. Scorsese, toujours fin couturier de la mise en scène tisse une fresque remplie de savoir faire parfois insipide (donc assez décevante), malgré son côté juvénile et déjanté dans laquelle le cinéaste semble être un gamin de vingt ans à plus de soixante dix ans. Plutôt partagé donc.

Pour sa cinquième collaboration avec Dicaprio, le cinéaste offre à nouveau à ce dernier un rôle à Oscar. Si l'Oscar serait largement mérité pour la carrière époustouflante de l'acteur, Le loup de Wall Street ne s'avère pas être leur meilleure collaboration. J'ai l'impression que Scorsese voulait offrir à DiCaprio ce qu'il avait offert a De Niro vingt ans plus tôt avec Casino. En effet, beaucoup de séquences et de plans se ressemblent, de même que les thèmes, les personnages très machistes, très orduriers comme dans beaucoup des films de Scorsese. Si Casino dégageait un magnétisme inédit et inégalé, Le Loup de Wall Street n'obtient que quelques similitudes narratives et de mise en scène par moment.

Si Scorsese veut signer une fresque moins documentaire et plus légère que ses précédentes, il réussit quand même à rendre intéressante cette ordure sur pattes par son savoir-faire de grand cinéaste. La satyre du rêve américain fonctionne beaucoup mieux dans les deux dernières heures. Effectivement, le scénario est bien meilleur à partir de la scène de rupture avec sa première femme (formidable au passage). Toute la première heure est une longue introduction brouillonne et abondamment remplie de blagues salaces, composée de pics d'humour parfois drôles, parfois exaspérants. Si cela reste tout de même réussi dans le genre, le scénario en abuse beaucoup trop au point de totalement déséquilibrer la fresque. Le film aurait pu être coupé d'au moins une demie heure dans cette première heure, il en serait largement avantagé. Heureusement, quand les ennuis arrivent, la mise en scène et le script savent bien mieux négocier l'humour et le tragique. Scorsese fait ensuite un peu comme dans Aviator en appliquant sa mise en scène de cinéphile implacable et virtuose de manière assez automatique. Enfin, le côté comique marche à merveille et prend le dessus à la salacerie, aux trips abondants et répétitifs de ce loup drogué et donne un ton plus intelligent et efficace au film. La débauche filmée de manière moderne et ancienne à la fois marche plutôt bien, Scorsese fait le boulot même si c'est du déjà cousu main pour le cinéaste. Le film passe donc d'un Very Bad Trip et Projet X à un Scarface scorsesien.

Dans la dernière heure, Scorsese est toujours aussi clinquant et sa fresque de luxe suit toujours la même cadence. La narration déjà vue dans Les Affranchis et Casino, ponctuée de "fuck", nous confirme que nous nous trouvons bien dans un film de Scorsese (merci Terence Winter), malheureusement caricatural. La seule baisse de rythme se trouve à la toute fin, où on reconnaît encore le procès, l'humour et la dégringolade du système de Casino. Les fans de Casino reconnaîtrons sans problème que DiCaprio est souvent dans les même décors et les même plans que De Niro. Scorsese pousse le bouchon un peu plus loin en dépeignant cette pourriture comme une légende vivante, surtout dans la dernière scène, une des plus réussies du film. On retrouve un peu le final de Taxi Driver ou de La valse des pantins sauf que l'on n'a pas de confusion entre délire et réalité. Le Loup de Wall Street est le film le moins psychologique de Scorsese désormais, certainement son film le plus limpide et dans l'air du temps.

En une séquence du Loup de Wall Street, on retrouve trois fois plus de sexe que dans toute la filmographie du cinéaste, autant de "fuck" voir plus que dans Les Affranchis et Casino. On retrouve un patchwork de tous ses films, ponctué de ses références habituelles aux meilleurs du genre (Capra, Tarantino, Apatow ou même Ritchie). Un lâchage total tantôt jouissif, tantôt déconcertant, dont je pense que l'influence de DiCaprio à la production et la collaboration n'y est pas pour rien. Une chose est sûre, c'est que même si Dicaprio n'a pas le magnétisme qu'avait Robert De Niro, c'est clairement avec Scorsese qu'il obtient ses plus grands rôles.

On pourrait presque penser à un remake moderne des Affranchis et Casino. Même si dans les films maudits de Scorsese on reste toujours a des lieues de la leçon de cinéma de Casino, il se dégage malgré tout quelque chose de novateur, contrairement au Loup de Wall Street. Il reste cependant un cinéaste donnant à ses films un ton particulier, jamais prétentieux, contrairement à Tarantino ou même pour la première fois aux Coen cette année. Preuve qu'il restera toujours un des plus grands cinéastes en activité, en permanence dans la novation, dans le virtuose. Rien que la bande annonce (très illustrative du film au passage) le prouve. Dans la forme c'est bien du Scorsese, mais ce Wall Street sous amphétamines est un genre de Las Vegas Parano chez Ace Rostein dans Casino. Si le casting est une nouvelle fois terrible, mention spéciale à Jonah Hill (avec le dentier de Marty ?) absolument surprenant et monumental, sans oublier notre frenchie Jean Dujardin qui signe une des scènes les plus désopilantes du film.

Le Loup de Wall Street est un Scorsese mineur qui risque vite de se démoder. Il a tout du moins le mérite de nous offrir un cinéma qui a de la gueule, chose qui n'est pas donné à n'importe quel réalisateur. Il reste cependant avec Margin Call l'un des films les plus réussi sur Wall Street, plus intéressant et moins pataud que ceux d'Oliver Stone.

Note : 6,5/10

vendredi 20 décembre 2013

Snowpiercer : Le transperceneige (Snowpiercer)






Réalisation : Bong Joon-Ho
Scénario : Bong Joon-Ho et Kelly Masterson.
Durée : 2 h
Distribution : Chris Evans, Song Kang Ho, Ed Harris, John Hurt, Tinda Swinton...
Genre : Gangs of RER.

Synopsis :

2031. Une nouvelle ère glaciaire. Les derniers survivants ont pris place à bord du Snowpiercer, un train gigantesque condamné à tourner autour de la Terre sans jamais s'arrêter. Dans ce microcosme futuriste de métal fendant la glace, s'est recréée une hiérarchie des classes contre laquelle une poignée d'hommes entraînés par l'un d'entre eux tente de lutter. Car l'être humain ne changera jamais...

Après différents exercices de styles plus que brillants, le cinéaste Bong Joon-Ho confirme avec Snowpiercer qu'il est actuellement le réalisateur qui réussi le mieux à mélanger les genres avec tant de virtuosité. Si bien sûr d'autres cinéastes brillent également en la matière, Bong Joon-Ho possède les scripts les plus riches, denses, originaux et inventifs. Une nouvelle fois à l'écriture du scénario avec la collaboration de Kelly Masterson (7h58 ce samedi là), le cinéaste coréen de The Host nous offre un blockbuster d'auteur international qui fait mesure d'ovni dans une époque où le cinéma est trop souvent aride en originalité. Rien que pour cela, Snowpiercer est un film à ne pas rater.

Inspiré d'une bande dessinée éponyme, Snowpiercer se situe entre un Spartacus de Stanley Kubrick (lutte des classes) et un Soleil vert de Richard Fleischer (côté science fiction, anticipation) le tout dans une arche de Noé. Énormément de pistes et de thèmes passionnants sont abordés dans ce scénario. Ce dernier dépeint une critique virulente de la société en général, de sa violence, de ses vices, de sa politique et de l'espoir de ses différentes classes. Une peinture pessimiste de l'Homme et de son pouvoir, ses rapports de forces et sa hiérarchie, le tout magnifiquement dépeint avec un sens virtuose du détail, de façon très crédible. En plus d'être abondamment riche, le scénario est d'une extrême habileté rythmique et narrative, digne d'un grand classique du cinéma. La mise en place est très efficace, mais tellement rapide qu'elle pourrait décourager certains : le film plongeant le spectateur dès les premières minutes dans une violence qui pourrait lui faire penser à un énième vulgaire film de violence gratuite. La suite pourtant est une fabuleuse aventure onirique et cinématographique. La conquête progressive des wagons du train est un exercice de style virtuose où suspense, humour, action, émotion et satyre sont magistralement assemblés. Plusieurs visionnages s'annoncent indispensables pour capter et saisir plus de détails.

A la fois accessible, ambigu et très suggestif, Snowpiercer ne tombe jamais dans la facilité, le too much et encore moins la niaiserie. Tout est traité dans une grande pudeur, sincérité et élégance. Le cinéaste de Mother prend le temps de faire des pauses dans l'action et de donner encore plus d'ampleur à son scénario afin de rendre les différents tons à son film qui est un véritable éventail à émotions. Également très bien maîtrisé dans son rythme, on ne ressent aucune longueur grâce à une intrigue impalpable et remplie de rebondissements régalant (la scène du tunnel par exemple). Un peu comme le début du film, le final peut décevoir par la rapidité du dénouement, et le face à face succinct entre Winston et Curtis. S'il doit certainement exister une version un peu plus longue, pour ma part cette fin est juste magistrale et d'une cohérence parfaite. Le cinéaste n'en fait pas des tonnes et ne prend pas le public pour un idiot.

Côté interprétation, ma plus grande surprise est Chris Evans. Ce dernier compose ici une des plus grandes prestations d'acteurs de ces dernières années. Sans que le film ne lui offre un « rôle à oscar » il délivre une prestation à la fois grandiose et subtile où il est à la fois impérial, vulnérable et torturé dans le rôle du meneur aussi ambigu qu'attachant. Le choix d'Ed Harris a déjà été utilisé par d'autres cinéastes dans le domaine du machiavélisme (Peter Weir, David Cronenberg), et s'avère une nouvelle fois payant, en effet, il dégage un charisme époustouflant. Tilda Swinton marque les esprits dans son personnage aussi abominable moralement que physiquement. L'habitué au cinéaste et irrésistible Song Kang-Ho compose un numéro de fée clochette explosif aussi dopé que roublard. On appréciera également le grand acteur John Hurt en guise d'hommage dans le rôle de Gilliam. Le reste du casting est également aussi régalant que judicieux, dont même le trop souvent oublié Jamie Bell.

Bong Joon-Ho nous plonge dans un fabuleux huis clos, une épopée sociale qui oscille en permanence entre le thriller, le film d'aventures et d'anticipation. Réalisé avec une grande maestria, Bong Joon-Ho réussit une merveilleuse alliance de la culture du cinéma hollywoodien et du cinéma asiatique tout en conservant sa touche particulière. Le cinéaste est toujours aussi habile avec l'émotion, le thriller et la psychologie marquée de ses personnages. La mise en scène est sensible, juste et intelligente avec un fascinant sens de l'image et un travail sur l'espace surprenant. Ce huis clos est paradoxalement très aéré par sa narration (beaucoup d'événements) et oppressant (effet carcéral garanti). La bande originale, très belle, donne de l'ampleur et du relief, mais n'appuie jamais trop lourdement les actions comme on peut le voir trop souvent dans la plupart des films actuels. La violence est un sujet tabou comme chaque fois : ici elle est esthétique sans être particulièrement sublimée ni enlaidie. Le travail de l'image fait parfois penser à des vignettes de bande dessinée. Hormis les effets spéciaux (sur l'extérieur du train) qui vieilliront certainement assez vite, la photographie est particulièrement belle.

Après son court métrage réussi dans Tokyo, Bong Joon-Ho confirme son talent dans le huis clos. Si Le transperceneige est actuellement le film du cinéaste contenant le plus de violence physique, cette dernière n'est pas gratuite et ajoute une touche de crédibilité. Les cassures de rythmes, les contre-pieds narratifs peuvent dérouter les plus adeptes aux blockbusters classiques. A croire que le cinéaste s'est donné le défi de déformer toutes les ficelles du genre. Ce film est à l'image des autres films du cinéaste : un ovni passionnant. Il est certainement son film le plus risqué mais aussi son plus réussi, en tout cas du même gabarit que Memories of Murder et Mother.

Sans faire du Malick ou du grand film contemplatif, le cinéaste coréen démontre que le grand cinéma peut parfois se trouver dans les salles grand public. Un blockbuster habile et très intelligent (oui vous avez bien lu les mots « habile » et « intelligent » dans la même phrase que « blockbuster ») aussi bien dans le fond que dans la forme. Le cinéaste insuffle son grand talent de conteur et de metteur en scène dans un blockbuster dont il reforge avec brio toutes ses lettres de noblesses. Pour ma part, Le transperceneige est également actuellement le meilleur film sur le thème de la fin du Monde, surtout par son côté inventif. Cette conquête de cette arche de Noé des temps modernes est certainement un des plus grands exercices de style que j'ai eu l'occasion de voir au cinéma. Un tour de force impressionnant qui fait clairement de Bong Joon-Ho un des plus grands cinéastes contemporains.

Ce film figurerait pour ma part dans le top dix des meilleurs films des années 2000.

PS : Le montage américain a coupé la fameuse séquence de l'école. A voir comment ils se sont débrouillés...

Note : 10/10

La dévédéthèque parfaite dans le même thème :

Soleil vert de Richard Fleischer, Spartacus de Stanley Kubrick et La planète des singes de Franklin J Schaffner.